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Echos

Réponses appels à textes, concours & exercices de styles

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2020

 

Racines carrées sur cheveux blonds

Concours de nouvelles de l’ENTSA 2020
Thème : Le hasard fait bien les choses ! Aléas, probabilités, ordre et désordre

04/01/2020 - Rebecca Rotermund

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La fille gratte le givre de la fenêtre du bout de ses doigts. Avec l’extrémité de l’ongle, elle fait crisser la vitre qui s’en moque et lui répond par une symphonie de feulements presque inaudibles, mais légèrement stridents, ce genre de petits sons agaçants qui font mal aux dents.

L’ongle est fêlé, la fille aussi. La vitre s’en moque, le givre bien à l’abri de celle-ci en rit.

 

La fille soupire, il fait bleu et pourtant il fait laid, il fait froid, il fait sale. Le paysage derrière son cadre de bois et de verre lui répond par un long silence, tant il est excédé par ce jugement faux et malséant, il décide donc que la température ne montera pas de la journée, ça lui apprendra à cette petite péronnelle qui n’est pas foutue de l’apprécier. Il en a assez de déployer la beauté de ce début d’hiver et de cette fin d’année pour un genre d’humain pas capable de le savourer.

 

Le temps, qui en principe coule normalement, le rejoint et s’associe à cet apitoiement, ainsi celui-ci, pour la fille, ne fait que s’écouler encore plus mollement. Tous deux lui tournent le dos, et la buée s’installe en écran sur la fenêtre devant les yeux voilés de cette petite personne déprimée.

 

La fille effleure maintenant du doigt cette nuée floue et gelée qui s’est déposée, lui bloquant cette vue qui de toute façon ne faisait que la navrer. Elle reste assise indécise sur le cadran de bois de cette croisée de verre opaque, qui la méprise pensant que décidément elle mériterait une paire de claques. Son thé, oublié et trop infusé, boude maintenant à ses côtés.

 

La fille attend et patiente dans les hasards du méandre du temps. Elle est apathique et pourtant énervée à un énième degré, à en faire sursauter ce sentiment mal aimé. Mais elle ne peut même pas se dire qu’elle est excédée, elle est bien trop fatiguée.

 

Elle est passée au-delà de ça, la rage est contenue en elle, la rage est contre elle-même, la rage est une sensation qui l’aime. Elle boue et pourtant c’est un vrai glaçon dans son chandail d’appartement. Jamais elle ne sortirait habillée ainsi, elle qui misait sur son apparence une grosse partie de sa vie.

 

C’est qu’elle avait une idée bien précise de comment mener sa barque et sa destinée. Seulement deux plans en tête pour réussir son existence, elle y croyait, elle était toujours intérieurement dans une sorte de transe. Deux, par les temps qui courent, un chiffre bien audacieux. L’un passait justement par le domaine des chiffres, et l’autre tout simplement s’appuyait sur son physique très avenant.

 

La fille est une feignasse qui a mal choisi son camp, finalement en fainéante elle n’a pas su gérer intelligemment, et c’est avec de faux efforts que ceux-ci sont tombés dans le néant. La faute à pas de chance, au hasard ou aux probabilités mal-calculées, peu importe maintenant sa barque a coulé.

 

Très jeune elle s’était dit que comme elle était jolie elle n’aurait qu’à tenter sa chance pour trouver un homme riche, le faire tomber dans ses filets, se marier et se laisser entretenir grassement pour le restant de sa vie. La fille avait de l’ambition mal placée et beaucoup d’envies.

 

Et puis elle était tombée amoureuse des jeux d’argent des paris et des loteries de la Française des jeux, et au fond elle s’était avoué qu’il serait encore mieux de gagner beaucoup d’un coup, plutôt que de risquer de rester sous la coupe d’un presque inconnu qui, bien que riche, ne lui plairait peut-être pas tant que cela après tout. Elle chérissait son indépendance, alors voilà, elle avait commencé à se documenter et à chercher les lois mathématiques, l’art d’utiliser les nombres et s’était intéressée aux probabilités, pour miser intelligemment et être sûre de tout rafler. Le riche mari restait dans sa tête, mais maintenant en plan B, après tout on ne savait jamais.

 

Cette frénésie, dans son étude de comment gagner, était un peu son lot de consolation quand elle voyait le temps passer sans rencontrer l’homme aisé attendu et espéré. Alors pour une fois elle s’y était donnée à cœur joie. Elle avait lu de nouveau, fait des recherches sérieusement, elle qui avait toujours détesté faire le moindre effort intellectuellement.

 

C’est comme ça qu’elle avait fini par jeter son dévolu sur un jeu en croyant trouver selon elle la combinaison parfaite de numéros. Elle était fin prête pour devenir millionnaire au Loto. Elle allait joyeusement et religieusement jouer chaque semaine, qui un jour finirait par être la bonne, celle où elle ressortirait victorieuse, richissime et comme elle le croyait enfin comblée et heureuse. Elle n’avait pas prévu de finir malheureuse.

 

Une fois sur place, elle avait toujours une moue méprisante pour les autres joueurs autour d’elle, ils lui faisaient de la peine, à jouer comme de pauvres innocents des chiffres fétiches ou pire au hasard total, sans comprendre l’art des calculs qu’il y avait dedans sur lequel il fallait se pencher si l’on voulait gagner, si on le désirait vraiment. Mais le temps inflexible continuait à passer également.

 

Et puis venait toujours le soir les résultats et avec la déception qui la toisaient tous deux du téléviseur avec un regard narquois. Elle se sentait alors toujours misérable et finissait accoudée à ressasser ses mauvaises idées. Le mari qui tardait à bien vouloir exister, la mue du temps qui continuait à peler, la laissant toujours un peu plus vieille d’une semaine et toujours aussi pauvre et vulnérable, du moins c’était ses idées. Quelle pitié !

 

Une introspection au jugement doux-amer et plutôt faux, qui ne la remettait pourtant jamais en question sur le fondement de son échec. L’idée simple que c’était ses deux plans qui étaient pourris pour s’en sortir dans la vie ne lui traversait jamais l’esprit.

 

Mais les dieux, elle ne savait pas lesquels, car elle est athée, avaient cru bon de se mêler de ses deux projets et de la contrecarrer dans son plan parfait. Quelle ironie de voir que le seul effort d’esprit qu’elle avait fourni avait échoué par un simple oubli.

 

Elle en était venue, dans la douleur, à dire adieu à ses petits calculs mesquins de réussite à base de probabilité numérique. Le destin et les mathématiques avaient décidé de lui rire au nez. Pythagore, Thalès ou Al-Khawarizmi, où qu’ils soient, avaient du bien se marrer.

 

C’est que depuis toujours elle courait, elle courait après l’argent facile qui lui donnait pourtant un mal fou à se laisser approcher. Les données chiffrées de sa carte bleue lui filaient entre les doigts depuis qu’elle connaissait le mot monnaie. Le code de cette délicieuse et si fine carte en plastique, qui lui faisait croire que le veau d’or existait, était en réalité une mauvaise amie qui ne cessait de se moquer d’elle, et par ses envies via son banquier de lui pourrir la vie.

 

Le temps continuait à couler immuable dans son idée de la dédaigner. Pour elle, rien de constructif ni rien d’allant dans son sens ne se passait. Elle enchaînait les battements de cœur toutes les semaines, les premiers d’espoirs, les seconds de déception pour le Loto à chacune de ses éditions.

 

Et puis d’un autre côté, elle se constituait une collection de rendez-vous ratés. Elle en passait du temps à essayer de rencontrer ce mari qui la sauverait et l’entretiendrait.

Elle ne restait pas les bras ballants à attendre qu’il surgisse du canapé, là aussi elle s’était créé ses propres règles de physiques ou de mathématiques, en tout cas elle avait étudié son sujet. Où, comment, quand rencontrer le poisson à ferrer, elle voulait bien laisser une part au hasard qui déciderait de celui qui finirait par succomber, mais elle se démenait et son plan était bien monté. Du moins, elle le pensait.

 

Alors elle enchaînait les rencontres, qu’elle provoquait de mille et une manières, soit via internet sans sortir de sa tanière, soit dans les lieux où les gros poissons traçaient un sillon, en laissant un fumet avec leur pognon. Elle avait appris à zoner avec grâce, et croyait-elle, à faire illusions dans les endroits huppés, où il est vrai les hommes de leurs yeux la dévoraient.

 

Mais elle sentait, sous son parfum capiteux la croqueuse de diamants, la chasseuse et non la proie. Et ces hommes-là voulaient certes bien la fréquenter, mais non s’engager. Ils n’étaient pas si bêtes ni si fous, et être le gibier leurs déplaisaient. Ils perçaient bien sa combine, d’en vouloir aveuglément à leurs portefeuilles, malgré ses formes généreuses et sa jolie trombine qui ne suffisaient pas à faire diversion sur l’intérêt qu’elle leur portait à avoir toujours un œil qui louchait sur leurs comptes bancaires bien rembourrés.

 

Si elle s’était donné la même énergie dans ses études elle aurait eu une autre vie et aurait connu peut-être plus de bonheur, en tout cas pas les mêmes vaines turpitudes et les sales mêmes vieilles habitudes. La fille avait été perçue comme étant un petit génie selon certains de ses professeurs, une véritable emmerdeuse du reste aussi pour le ministère de l’Éducation et ses acteurs.

 

Mais non, à ses seize ans elle avait cessé tout contact avec l’école, et était partie à la chasse au futur mari, apprenant à aiguiser ses ongles et à polir sourire et vernis. Puis le temps passant, et par ennui, un jour où elle était restée bloquée après s’être réfugiée pour cause de pluie dans un bar PMU, un endroit pour elle vraiment risible et imprévu, elle avait pris goût à cette idée de remporter le gros lot d’un coup et de ne pas sur un hypothétique mariage devoir miser son tout.

 

La fille maintenant est exsangue elle a du mal à respirer, elle repense tous les jours et presque chaque heure à quel moment elle a tout loupé. Elle renifle, à la longue le bout de son nez rougi est parfaitement assorti à ses yeux qui ont trop pleurés, globuleux et cramoisis, à cet instant pas très jolis à regarder. Ses cheveux blonds jurent avec leurs racines noires, les sourcils bruns et les yeux marron, remplis de peine et de chagrin, ne laissent aucun doute sur sa chute et le peu d’importance qu’elle donne maintenant à son apparence et à son maintien.

 

Elle était en chemin pour réussir au moins l’un de ces deux projets avec entrain. Après des vicissitudes, des jeux dangereux, des soirées sans lendemain et des rendez-vous pour rien, il y avait finalement eu un homme merveilleux sur lequel elle avait réussi à mettre le grappin. Et puis même qu’au fond il lui avait vraiment plu, et qu’elle y croyait enfin comme elle n’y avait jamais cru.

 

Elle l’avait trouvé, son cœur était devenu léger, le mariage aurait dû arriver, il en était question il n’y avait plus qu’à planifier, et puis voilà finalement sans explication il l’avait planté. Et de déception, et parce qu’elle était tellement fatiguée, quand il avait disparu et cesser pour elle d’exister, elle avait une toute petite semaine, pour une seule fois depuis des années, oublié de jouer et d’aller miser. Et ses numéros magiques étaient sortis et quand elle l’avait su ça l’avait anéantie.

 

Les divinités Cupidon et Tyché devaient être là-haut à la regarder et à se gausser. La même semaine se faire jeter, pour une fois que ses sentiments étaient vrais, allié à ce stupide oubli d’aller au guichet jouer ses numéros karmiques, bien que déterminés par la science et l’art des mathématiques, parfaitement étudiés, cette omission d’aller y retirer son bulletin, elle qui espérait toujours un très gros gain, et voir ses numéros sortir, ça faisait beaucoup trop et ça avait fait choir la fille de son propre empire. Ça l’avait rendu totalement apathique de se savoir aussi pathétique.

 

La fille a conscience au moment présent d’être un éloge de la futilité et de la frivolité, d’avoir voulu une vie comme une ode à la facilité, alors qu’elle aurait pu être autre et briller, être piquante intellectuellement et désirer sa vie autrement. Mais jusque là ça, lui allait d’avancer dans la vie avec ses deux seules envies : pour sa main droite une bague à l’annulaire avec un gros diamant cliquant, et dans l’autre un bulletin de loto gagnant.

 

La fille est toujours assise dans son cadre de bois, en plein désarroi. Elle ne peut pas gratter le givre qu’elle a sur le cœur, ni la buée qui habite son cerveau dépité, alors à la place elle martyrise sa vitre et son écran de nuée.

 

Il était probable que cela se passerait ainsi, elle aurait dû être plus sérieuse et étudier pour avoir une autre vie. C’est ce que la fille, qui a maintenant vieilli, loin de ses rêves, se sent décrépie, et bien trop souvent amèrement se le dit.

 

Elle se fait la promesse qu’elle va changer, revoir ses priorités, se trouver de nouvelles passions, de vrais centres d’intérêt. Dehors, malgré le froid, un oiseau se met à chanter, comme pour l’encourager. C’est décidé, la fille va commencer à exister.

 

Le hasard faisant bien les choses, de sa douce ironie, il remet dans le droit chemin cette petite péronnelle qui s’était perdue sur le fil du chemin de sa vie.

racines carrées
Pieds nus sur la rouile

 

Pieds Nus sur la rouille

Concours de nouvelles- Thème sortie de secours - Association Plumes au vent

26/01/2020 - Rebecca Rotermund

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La fille est perchée sur son balcon, posé à ses côtés, un peu d’alcool dans un flacon. Il fait nuit, ses orteils s’enfoncent sur de l’herbe synthétique, entre les plantes qui tentent de mener leurs vies et de s’imposer comme une infructueuse petite jungle miniature. Tout est en plastique, parce que c’est vrai qu’ici entre ses doigts pour la vraie nature la vie est dure. Elle n’a pas la main verte et voir des plantes crever l’a rend malheureuse, alors elle fait avec, la vraie nature, un peu comme la vie, elle la déserte.

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La fille s’accoude, se penche, le regard vissé au loin, sur un autre balcon plus animé qui scintille dans le lointain.

Elle rêvasse, elle se souvient de ses doigts de pieds torturés sur la rouille d’une autre terrasse grillagée. Les meilleurs moments de sa vie qui revenaient pendant plusieurs années tous les soirs, avec ses voisins, ensemble liés dans le noir.

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La fille jusque-là n’avait jamais été sociable, n’avait jamais trop aimé la compagnie de ses semblables. Mais, par le hasard et à la force des choses, la vie lui avait appris le bonheur d’avoir de la compagnie.

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Petite, elle était toujours restée en retrait, elle avait bien une copine d’école pour aider le temps là-bas à se passer, mais en sortant de ces moments de proximité forcée, elle ne voyait pas l’intérêt de continuer. Aussi, en dehors de ces obligations, à l’extérieur elle préférait rester seule dans son cocon.

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Et puis était arrivé le temps de la faculté. La première année, elle avait eu un minuscule studio dans une vieille maison délabrée. Enfin un espace à elle, rien qu’à elle, ou se replier. Elle évitait de recevoir ou d’être invitée. Mais l’année d’après, il avait fallu déménager pour poursuivre son cursus. Et par faute de moyens financiers elle avait débarqué dans une résidence d’étudiants, selon elle surpeuplée. Ce qui n’était pas vrai, il n’y avait là que vingt appartements individuels, où certes une partie des locataires vivaient à plusieurs, mais rien d’immense ou d’insurmontable en termes de population en cet intérieur.

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Le lieu était amusant, une ancienne usine désaffectée réhabilitée, le tout en respectant les matériaux de l’époque, créant ainsi des logements industriels à l’esprit baroque. De la brique orange en veux-tu en voilà, de la ferronnerie et du métal pour agrémenter tout ça.

Ces logements étaient autonomes, les seuls lieux en commun se trouvaient être la cour intérieure au rez-de-chaussée, et le balcon en métal rouillé qui faisait office de couloir et de sortie de secours au premier. Le treillage métallique de celui-ci surplombait la courette et donnait vue aux alentours sur l’enclos d’une petite faculté, elle aussi ancienne usine réutilisée et toujours vide le soir quand les étudiants finissaient par tous s’en échapper une fois ses portes refermées.

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Les premières années, la fille avait réussi à vivre recluse et à ne pas se mêler aux différents groupes d’étudiants qui aimaient profiter de l’espace extérieur, investissant tant le treillis de métal de ce couloir ouvert au vent, que celui de la cour en dedans. Et puis même si elle ne sait plus maintenant ni comment ni pourquoi ni par qui, mais elle avait fini par se lasser happer par leur compagnie.

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Et c’est dans un groupe bigarré que la fille avait pris plaisir pour la première fois à se sociabiliser. Les âges n’étaient certes pas très variés, mais les conditions sociales et les idées débattues étaient fortement divergentes et tout de même assez souvent partagées.

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On parlait de tout, de rien, on se racontait des choses intellectuelles et aussi des potins. On commençait à avoir des rituels, on partageait avec entrain. On était plein d’amour et de bienveillance, on se prenait pour des Jésus qui rompaient le pain, les hosties étaient remplacées par des cuissons au feu de bois sur un réchaud en briques aménagées, la bière faisait office de vin de messe, et il n’était pas question entre eux d’histoires sordides ou de fesses.

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Ça se prenait pour l’ONU, ça voulait révolutionner le monde, tout changer, bousculer, et pour les plus téméraires tout brûler. En attendant, c’était souvent sur d’étranges cigarettes améliorées que l’on se consumait.

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Des groupuscules se formaient, petits groupes de moineaux qui s’éparpillaient, se répartissaient par sujet sur la courette ou en hauteur sur la balustrade de métal, sur laquelle ils avaient installé des planches de bois pour pouvoir poser des chaises, des tables, des cendriers et même leurs pieds sans être agressés par la dureté des croisillons du métal ajouré.

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On cuisinait, on se servait à la bonne franquette, on mangeait sans façon, certains avec les doigts directement dans les assiettes. Ils avaient récupéré dans les encombrants du bric-à-brac, des chaises de jardin, des tables, des lampions, et puis un jour Florent avait ramené des lampes à pétrole, de vraies antiquités, et il avait égayé ce jardinet avec cet éclairage d’un autre âge.

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La fille se rappelle ces moments merveilleux, de sa vie les plus heureux. Elles voient au loin les mêmes points lumineux, ce qu’ils devaient dégager lorsqu’ils y étaient, que c’était eux dans le noir les illuminés.

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Un soir, un départ d’incendie s’était déclenché pendant une veillée, des braises de cuisson qui s’étaient permis de s’envoler et de s’embraser alors qu’on ne leur avait rien demandé. Et les habitants en hurlant s’étaient éparpillés. Ceux qui le pouvaient s’étaient évacués vers la sortie rejoignant la rue, et ceux qui n’avaient pas pu avaient couru sur la balustrade vers la sortie de secours, mais devant sa résistante s’étaient avoués vaincu.

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Le grillage et la porte menant à ce petit escalier, qui leur auraient permis d’entrer en sécurité dans la cour de la faculté, avaient refusé de s’ouvrir et de les laisser passer. On avait appelé les pompiers. Et la fille, Florent et sa petite amie étaient restés tous les trois collés agglutinés et serrés devant ce filet de sécurité qui refusait de faire son office et de les délivrer. Ils étaient tous les trois pieds nus sur le métal rouillé, avec l’impression fausse que le feu commençait à les chauffer.

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Le brasier montait doucement, les planches de bois déposées sur le métal l’aidant. Il commençait à faire chaud malgré l’air frais de ce soir de début d’été. Mais ils n’avaient pas paniqué. On entendait déjà au loin la sirène des pompiers. Le temps que le feu s’éteigne, ils étaient restés sagement hypnotisés devant la beauté des flammes qui étaient un peu plus loin, et qui n’auraient pas le loisir de venir les lécher.

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La fille s’était abandonnée mollement dans les bras de Florent qui la tenait elle et Anna, non pas sous l’effet du danger, mais parce qu’elle était un peu amoureuse des deux, même si elle ne se l’avouait jamais. Elle avait fini par s’ouvrir au plaisir de vivre dans une communauté, de se sentir exister non seulement pour elle, mais pour les autres, d’être et d’apprécier. Sa vie entière avait été révolutionnée.

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Elle en était satisfaite, mais le cœur s’en était mêlé. Un fil rouge laineux et sanglant en était sorti et avait commencé entre eux trois à tisser son nid. Cela était doux, mais les sentiments n’étaient pas identiques partout.

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La fille en avait conscience et elle s’était contentée d’être leur meilleure copine, de les regarder s’aimer. C’est qu’elle avait toujours été contemplative, alors ça ne l’avait pas vraiment gênée. Mais ce jour-là, le feu devant les yeux, dans leurs bras, en leur creux, elle avait eu envie de leur crier sa vérité, mais elle ne l’avait pas fait. Elle les aimait trop pour les chagriner, ou les choquer, mais aussi par peur, car elle avait eu la hantise de les voir se détourner. Alors il valait mieux du un peu que du rien du tout, une belle et platonique présence, plutôt qu’une totale absence.

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Elle avait aimé cette soirée, pendant des années chacun dans son coin en reparlerait. Pour elle, c’était un souvenir de joie et de peur qui s’était entremêlée, et c’était surtout le plaisir d’être restée entre ses deux amis, ou ses deux aimés, qui avait gagné. Ça leur laissait à tous une anecdote un peu folle à raconter, qui commencerait toujours par un « tu te souviens » quand plus tard ils se reverraient.

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Mais ils ne s’étaient quasiment pas recroisés. La fin d’année scolaire avait filé, s’était évaporée dans le plaisir pour elle de ce non-dit et de toutes leurs soirées partagées. Dans la douceur amère de les voir tant s’aimer. Et puis comme des oiseaux, tout le monde s’était éparpillé.

Au fil des années depuis son arrivée, le groupe avait varié, les uns partants, remplacés par de nouvelles arrivées. Il en est ainsi des immeubles d’habitation étudiante, où le va-et-vient est une continuité sans cesse renouvelée, où ne reste immuable que cette énergie des gens remplis d’espoirs et de gaieté.

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Pour eux ce feu avait presque été la clôture de cette partie de leurs vies, une anecdote peut-être un peu plus forte que d’autres et tout était déjà fini. Ensuite avec les déménagements tous s’étaient enfuis. On ne venait pas des mêmes régions, l’existence les avait trahis.

Les amoureux qui se suffisaient à deux avaient de loin gardé le contact, puis tout doucement s’était espacé les prises de nouvelles et les signaux de fumées. On avait l’illusion de se côtoyer encore grâce aux réseaux sociaux, poudre aux yeux qu’on entretenait encore parfois un peu.

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La fille ne les avait jamais revus en réalité depuis qu’ils avaient déménagé. Souvent, elle souriait elle y repensait. Elle pansait cette petite douleur qui venait la titiller. Mais elle était si heureuse de les savoir, ou du moins de les imaginer et de les croire, tous les deux encore ensemble et si amoureux. La fille pensait ne pas avoir besoin de plus, même si au fond d’elle-même elle savait que c’était comme se nier, un désaveu même de sa propre existence, de celui qui consiste à croire que penser à ceux qu’on aime sans retour vous rend heureux.

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Les méandres de la vie l’avaient fait bouger de nombreuses fois, changer de ville, de vie parfois. Et un jour, le hasard et la réalité du monde du travail l’avaient fait revenir dans cette ville-là. Elle avait même trouvé cet appartement qu’elle occupait présentement, de l’autre côté en face de cette faculté, alors au loin elle voyait son ancienne résidence tant aimée. Les lumières qui l’animait, parfois en rumeur le son de la gaieté des soirées qui continuaient immuables à s’y dérouler. Nouveaux arrivants, nouvelles amitiés, chaque nouvelle année. Y avait-il là-bas une jeune fille au cœur percé comme elle l’avait été ?

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Un jour, elle était rentrée dans l’enceinte de la faculté, avait monté l’escalier de métal et ouvert la porte de secours, pour la vérifier. La porte avait grincé et avait obéi, mais le son avait ramené le gardien, perplexe devant cette jeune femme qui s’était sentie ridicule et comme prise au piège comme une petite souris. La fille lui avait raconté ce départ de feu qui était arrivé par le passé, le gardien avait acquiescé, il s’en souvenait, sans doute par le savon qu’on avait dû lui passer dessus après ce raté en matière de sécurité.

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Elle s’était trouvée ridicule et n’avait plus jamais osé y mettre les pieds, elle n’arrivait plus d’ailleurs à passer dans la rue où elle avait vécu. L’étroitesse des si petits trottoirs qui la composaient lui donnait un petit coup au cœur, elle faisait un détour pour ne pas se trouver sur ce macadam trompeur.

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Mais le soir, elle ne pouvait s’empêcher de sourire à la vie, et haut loin de temps en temps de lever les yeux et de se rappeler, même s’ils s’étaient perdus de vue, ceux qu’elle appelait, à défaut de ses amoureux, ses anciens amis.

Albertine

 

Albertine

Concours de nouvelles - Une folle journée au parc - Parc de Clères

28/02/2020 - Rebecca Rotermund

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La vieille dame subit cahin-caha les roulements et les tracas que lui donne cet ultime trajet de train qui doit la mener à Clères, la ramener enfin là-bas. Elle trépigne, elle jubile, c’est encore une jouvencelle enfermée dans ce corps de douairière qui ne lui convient pas. Toujours elle a comme une espèce de choc quand elle se voit. L’esprit alerte, la gambette presque encore verte, c’est une précieuse, une cocotte qui s’est voulue toute sa vie parisienne, et pourtant pour ses ultimes instants qui veut revenir vivre à Clères, retourner aux sources pour se sentir encore jeune, en tout cas elle l’espère.

Albertine, quatre-vingt-dix-neuf ans et demain cent, sourit, elle regarde par la fenêtre le paysage qui s’en réjouit. Elle se connaît bien depuis tout ce temps, elle a accepté ses propres excentricités, alors quand elle a eu cette lubie de retourner comme elle le dit au pays, elle n’a pas tergiversé et elle a fait ses paquets.

La presque centenaire a vendu son luxueux appartement parisien, a chargé un quelconque employé de lui trouver un pied à terre dans cette petite bourgade qu’elle voulait absolument retrouver, a fait empaqueter et livrer ses meubles et effets, et a galopé en gare le cœur battant telle une jeune femme énamourée. Cela ne lui a pris que quelques jours, car comme à chaque fois elle a foncé comme un taureau tête baissée, ses envies et son instinct ne l’ayant que rarement trompé, comme toujours elle n’a écouté que sa nouvelle envie impossible pour elle à refréner.

Elle a juste pris le temps de téléphoner — tudieu à son âge quelle modernité — pour que l’on fasse savoir à sa famille éloignée qu’elle arriverait. Et plus précisément pour avertir son amie d’enfance et d’adolescence Simone, qui est aussi âgée qu’elle l’est.

Le téléphone était ébahi d’avoir pendu à son fil une femme aussi âgée, mais qui devant sa technologie avancée n’a pas une seconde paniqué ni hésité. En entendant les voix grésiller au bout du fil, Albertine souriait, se demandant comment serait son arrivée, qui se souviendrait d’elle et du scandale qu’elle avait osé essaimer.

Dans le train, elle se demande comment sera Clères, et surtout le délicieux parc du château dans lequel elle passait son temps à se glisser avec Simone pour y jouer aux contes de fées. C’est que toutes les deux ont été bercées par la même bonne d’enfants, par tout un tas d’histoires féeriques et de racontars qui s’y seraient déroulés. Alors enfants elles y croyaient dur comme fer et dès qu’elles le pouvaient elles y courraient pour s’y cacher. Les habitants du château ne s’en formalisaient pas, impossible de résister à ces deux petites bouilles-là, à leur esprit d’aventure et aux jeux peu bruyants et peu dérangeants qu’elles se permettaient. Elles étaient tellement craquantes qu’on leur laissait tout passer, y compris aller déranger des châtelains dans le jardin de leur propriété.

C’est ainsi qu’Albertine avait pris goût au luxe et à la haute société, et qu’elle avait rêvé de devenir duchesse elle aussi et qu’elle s’imaginait le monde entier à ses pieds. C’est comme ça que dès que l’adolescence avait pointé son nez, elle avait mis le grappin sur un jeune cousin du châtelain, et qu’elle l’avait dévergondé, le forçant presque à se marier, à partir à Paris y mener la grande vie et s’y installer. Lui n’avait jamais regretté le scandale d’avoir épousé une petite roturière, un petit bout de femme qui avait tout fait pour y arriver. Mais il était mort très jeune et n’avait laissé à Albertine qu’un titre de noblesse ronflant sans vraie fortune, juste de quoi sécher ses larmes et garder un peu de fierté. Elle avait dû depuis mener sa barque et pour presque tous elle s’était fourvoyée.

 

La vieille dame descend du train, on l’accueille faussement, mais gaiement, on lui porte ses paquets, on la met dans une jolie auto et on la dépose sur son nouveau perron. On lui remet les clés, voici ce qui sera maintenant pour elle son petit hôtel particulier. Albertine est ravie, de toute façon elle avait déjà vu sur une photo ce qu’on prévoyait de lui acheter, et puis cette ville malgré tous les changements reste en partie identique à celle qu’enfant elle a habitée. Ça n’est pas sa maison de famille, mais elle s’en fiche, elle n’avait pas l’intention un jour de vraiment y remettre les pieds.

Albertine franchit la porte, qui en couine de joie à voir celle jolie vieille dame là, et tombe aussitôt sur sa Simone, rapetissée et plissée par le temps, mais droite et pour son âge on pourrait dire en pleine forme, vraiment.

Ce ne sont pas deux vieilles femmes qui se retrouvent, mais deux gamines, deux âmes jumelles qui n’ont pas vieilli, qui se retrouvent à trépigner. Une amitié à toute épreuve, qui n’a pas failli malgré les deux destinées totalement opposées.

 

Il n’y a pas eu deux phrases d’échangées que voilà leurs pas qui les mènent hors de la maison, en direction du parc de Clères. C’est comme si l’instinct les avait pris par la main pour les guider sagement vers leurs lieux préférés, celui où a commencé leur amitié, celui où il s’est scellé.

Les pavés, les dalles et les rues saluent le retour de cette vieille amie, et le plaisir de les voir toutes deux de nouveau réunies. Les talons claquent et raisonnent gaiement, un écho discret se forme pour en rajouter, comme pour les honorer.

Les deux amies se réveillent comme sortant d’une torpeur, comme victimes d’un charme enjôleur, qui les aura ramenés plus de quatre-vingt-trois ans en avant, sur le lieu de tous leurs bonheurs d’enfants. Devant le portail les deux copines gloussent de plaisir. Albertine, qui a toujours été la plus effrontée des deux, ne se gêne pas pour essayer de pousser le battant d’une des portes pour y entrer.

Celui-ci bien que verrouillé est tellement ému par ce retour impromptu qu’il décide de céder. Et voici nos deux gamines centenaires qui, après une brève œillade, s’engouffrent presque en courant dans les allées. Car aussitôt le seuil franchi, c’est un miracle qui se produit, leur folle jeunesse est revenue se déposer dans leurs âmes, leurs corps, leurs os et leurs souliers, alors ce sont deux enfants qui trottinent gaiement pour aller jouer.

Le château et le parc ont bien changé, mais pour leur permettre un peu de magie, les deux vont s’unir pour ressembler à leurs souvenirs, ou peut-être n’est-ce que leurs mémoires qui feint de s’y adapter en acceptant pour certains éléments de faillir et de tricher.

 

Les voilà toutes les deux follettes courant en direction du cours d’eau, pour aller saluer l’ondée et leurs amis les canards, flamants roses et autres oiseaux. Mais qu’on ne s’y méprenne pas, ce ne sont pas des volatiles qu’elles vont voir là, mais les princesses et princes charmants de leur enfance, qu’on leur a présentés comme toute une tripotée de contes de fées.

Voilà donc deux vieilles dames, bien que très jeunes d’âmes, qui font des simagrées devant des oiseaux et des grenouilles éberlués. On se fait des courbettes, des révérences, on se saupoudre de salamalecs. Les canards flattés ne sont pas en reste et viennent joyeusement caqueter et quémander, mais les grands volatiles roses eux préfèrent garder de leur superbe et toiser d’un air condescendant ces manants qui se permettent de réclamer.

Albertine leur jette les miettes de son petit déjeuner, qu’elle avait gardé noué dans son mouchoir. Simone que tous ont toujours prise à tort pour la plus sage, pousse sa copine un peu trop près de la marre, et manque de la faire tomber dans cette celle-ci, où leurs souliers commencent déjà dangereusement à se crotter. « Un baiser » clame Simone, « attrape donc ton prince charmant ! » Et les voilà toutes deux à genoux dans la gadoue à essayer de saisir une pauvre grenouille qui se sauve devant ce spectacle de fous. Elles sont comiques ces deux vieilles dames si chic, à patauger comme des enfants, leurs vêtements si chers et si guindés en bavant.

Les voilà à demi trempées, secouées de fous rires multiples qui les forcent à se chercher un endroit pour se reposer.

 

Nos deux amies trempées marchent tout doucement le long du chemin qui borde l’eau, qui se décide à scintiller et à miroiter de plus belle pour les remercier d’être enfin revenues s’y mirer.

On pourrait penser que les copines ont des milliers de choses et de confidences à se raconter, mais il n’en est rien, car toutes leurs vies elles n’ont cessé de communiquer, ce sont des montagnes de lettres qu’elles se sont envoyées, de quoi remplir le château de Clères qui leur sourit au loin, un tout petit plus en hauteur sur la petite butée. Aussi c’est dans un silence religieux, mais relatif, car un silence habité par toute la vie du jardin, que les voilà marchant tout doucement pour reprendre un peu de force avant de recommencer à s’amuser avec entrain.

Les pieds crottés, et les bas de jupes et jupons qui essaient de se nettoyer de la boue en frôlant l’herbe, les mènent vers ce qu’elles appelaient plus jeune leur labyrinthe du Minotaure. Un lieu qui a toujours fait partie de leur folklore.

Petites elles avaient l’impression que cet endroit été immense, qu’elles s’y perdaient vraiment entre les carrés touffus délimitant des zones de plantations. Cela n’avait jamais été un labyrinthe, mais plus un joli parterre de fleurs bien délimité par de jolis buissons un peu touffus, une sorte de jardin à la française bien entretenu.

Elles y avaient mêlé un peu de la mythologie grecque qu’elles avaient commencé à lire un peu plus âgées après en avoir soupé des contes de fées. Et elle aimait s’y prendre pour Ariane ou pour Thésée, jouant à s’y faire peur, courant et piaillant comme des dératées.

Mais miraculeusement, et comme pour leur en savoir grée de ne pas les avoir oubliées, les rangées de fleurs et de minuscules buissons savamment organisés font mine de grandir exponentiellement et de pousser, ainsi les deux copines ne quittent pas leur état de grâce et de gaieté.

Elles s’engouffrent dans ce morceau du jardin en riant, elles jouent à se perdre. Albertine arrache un fil de son écharpe de laine et la laisse se détricoter, et les voilà courants en tous sens de nouveau, laissant ce fil laineux partout, traînant, s’emmêler aux feuilles et aux fleurs qui se décident à se joindre au jeu.

Au détour d’un parterre, elles tombent nez à nez devant un jardinier. Mon dieu voilà en réalité le Minotaure qui va chercher à les dévorer, et elles repartent en hurlant faisant mine de suivre le fil de laine de la pauvre écharpe qui a accepté dans sa bonté de se sacrifier.

Le jardinier en reste comme deux ronds de flancs devant cette épopée qu’il ne comprendra jamais.

En ressortant, les deux chipies passent devant son panier-repas qu’il a laissé à l’entrée. Ni une ni deux les voici voleuses, comme deux enfants qui ne se rendraient pas compte du geste et de sa portée, elles empoignent d’un commun accord la poignée et embarquent avec elle le repas roboratif et peu léger.

 

Les deux pestes s’enfuient avec leur butin, les voilà maintenant tels deux pirates qui transportent de manière louche leur larcin. Pour déguster ce déjeuner volé et improvisé, elles décident de monter s’installer en hauteur sur la butée. La pente pourrait sembler fastidieuse et compliquée à grimper pour deux presque centenaires, de surcroît aux pieds bottés dans des petits talons bobines à l’équilibre difficile, mais celle-ci, dans le souvenir tendre de leurs cavalcades sur ses petits chemins qu’elles ont souvent empruntés, fait l’effort de leur présenter une pente plus douce qu’elle ne le devrait.

Les filles posent leurs dos contre un tronc d’arbre majestueux, étalent leurs jupes et jupons dans le moelleux de l’herbe qui chantonne pour elles. Elles déballent le panier et mangent avec les doigts et sans manières comme les deux gamines intenables qu’au fond elles n’ont jamais cessé d’être et qui les ont toujours habitées, les deux sales gosses du comté.

Rassasiées un ange passe et c’est le début d’une sieste mouvementée qui vient les hanter. Albertine se fait visiter par le fantôme de son mari qui l’a si vite quitté. Il faut dire qu’une partie de lui est toujours dans ce parc et ce château dans lequel ils se sont rencontrés. C’est un rêve doux-amer qui finira par la réveiller.

Simone quant à elle se fait rejoindre par son petit fils qui a eu le malheur de participer à la Grande Guerre, celle dont tout le monde s’est promis qu’elle ne pouvait être que la dernière. Elle pourrait avoir envie de pleurer d’une si jeune vie trop tôt et si horriblement finie et gâchée. Mais comme toujours dans ses souvenirs, et comme à chaque fois qu’en songe il vient lui rendre visite, c’est le gamin ou le jeune homme joyeux qu’il a toujours été qui se présente à elle pour ne pas finir par être oublié. Mais si ce rêve-ci est différent, et bien plus vrai, c’est qu’elle lui avait refilé le virus de venir jouer en secret dans ce jardin, et qu’une partie de son âme d’enfant ne l’a jamais quitté.

 

Les deux vieilles amies émergent et l’on pourrait croire que l’espace d’un instant la magie cesse, que le temps reprend sa course galopante et les ramène à leurs âges réels. C’est le temps des confidences, et souvenirs qui reviennent, sous la brise douce, mais piquante de la mémoire ce petit parc, adossées à ce chêne.

L’après-midi était déjà bien entamé, et le voilà qui finit de s’achever.

 

Un remue-ménage plus loin a commencé à monter. C’est que le jardinier outré de s’être fait voler son panier, et toujours interloqué par ces deux vieilles folles à lier, et allé signaler ces intruses et ce vol qui l’a agacé.

Le son de cloche de cette irruption est monté jusqu’aux oreilles des châtelains, qui ont appelé la maréchaussée. Ceux-ci ont débarqué, on prit en note l’aventure loufoque, et ont commencé à chercher.

Et c’est une partie de cache-cache qui débute pour les deux copines, qui vont s’amuser à aller de fourré en fourré, tournant dans le parc et tournant en ridicule ces braves policiers. Elles s’amusent à laisser des indices et à brouiller les pistes. Et pour finir en beauté par bravade et pour les narguer, vont traîner devant le château qui du haut de ses pierres centenaires n’a pas cessé de les acclamer.

Et c’est ainsi qu’elles finissent par se faire cueillir, gloussant comme des enfants.

Ce qui n’est qu’un jeu de deux amies retombées en enfance semble avoir offensé les propriétaires des lieux qui n’ont pas envie de se laisser marcher sur les pieds.

Ils ouvrent la bouche pour vertement les tancer. Le fou rire de ces deux jeunes filles, pourtant centenaire, ne fait que s’intensifier. Les policiers ont eu eux aussi envie de pouffer, la situation est tellement ridicule qu’il leur ait difficile ne pas y céder.

Ils seront tous franchement hilares quand Albertine pour clouer le bec au dithyrambique discours du châtelain sur le sens du respect et de la notion de propriété, l’importance de l’ordre et de la clarté, lui sortira : « Alors tu me fais arrêter, arriéré d’arrière-cousin pas foutu de me reconnaître et de m’inviter ? »

 

Voilà une journée que les participants ne sont pas prêts d’oublier, une journée qui fera encore le tour des maisons de Clères, des potins et des racontars pendant quelques années, qui se disperseront sous la vieille halle du marché, qui en rira à en faire grincer ses tuiles et ses vieilles poutres vermoulues. La ville s’énerve ou s’extasie, ainsi Albertine la vilaine petite coquine est bien revenue encanailler la vieille ville.

Une journée que le parc dans ses brindilles, son herbe et ses bois et branchages tordus chérira dans son long silence éternel et contenu. Un parc dans lequel aimeront toujours à venir trottiner les enfants, les amoureux des contes de fées et les vieux enfants chenus.

Croûtes

 

Croûtes

Concours de nouvelles - Les Arts dans les villes du futur et d’ailleurs- Editions Arkuiris

28/02/2020 - Rebecca Rotermund

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La fille s’ennuie dans la grande et sublime bibliothèque de sa faculté. Elle a fait comme tout le monde, elle a choisi un cursus sur l’esthétique, parce que c’est avec ça qu’on trouve un vrai métier. C’est de toute manière une matière obligatoire dans toute scolarité, et personne ne s’arrête avant d’avoir au minima un master, car c’est le minimum pour en savoir assez.

L’art est partout, tout le temps, en permanence devant leurs yeux et à leurs pieds, aussi le beau est devenu une banalité, une obligation à laquelle nul ne saurait dire non. La ville entière est une ode à la beauté, de ses pavés, au moindre pavillon, aux fleurs qui abritent les insectes et papillons.

Elle se balance sur sa chaise, elle est bien embêtée, elle n’a aucune idée sur laquelle baser son mémoire pour valider son diplôme et ne pas y rester des années. La fille chute, elle pourrait avoir honte de se faire remarquer ainsi et peur qu’on la chahute et la regarde avec mépris l’espace d’un instant dans le silence de ce lieu de recueillement. Mais comme pour tout, la fille s’en fout.

Néanmoins, sa tête a cogné et un léger filet de sang a commencé à en sortir et à se répandre comme pour tout abîmer. Le mal est fait, il y a des gouttes de vermillon humain maintenant imprégné sur ce délicieux sol en parquet maquetté. La fille ricane, elle vient de saboter cet endroit merveilleux et trop parfait. Le plancher à l’air de la regarder courroucé. La fille ne lève pas le petit doigt pour essayer d’y réparer son premier attentat qu’elle a perpétré sans même y penser.

Elle se lève et se dirige vers la sortie, se fichant de créer comme un remous devant tous les yeux ahuris. C’est qu’elle se balade maintenant négligemment avec son bel habit qui se ruine sous le sang qui dégouline. La fille sourit quand elle se croise dans une vitrine. La vitrine en frémit, son habit se sent honteux de se voir ainsi souillé et exhibé dans ce reflet glacé.

Elle sait qu’elle les fait tous chier avec sa tête qui suinte d’hémoglobine. Elle s’en amuse et pour en rajouter une couche elle se filme. Enfin, disons plutôt qu’elle filme incognito les réactions et les moues de dédain, les personnes qui s’esquivent et s’écartent d’elle, devant son air qui dénote dans le paysage. Elle s’en moque et s’en amuse encore plus et y va avec entrain devant ce peu de son sang qui dérange comme s’il était pire qu’un vaurien.

La rue entière a maintenant l’air de la juger, des passants aux pierres des bâtiments, jusqu’au soleil qui se demande si devant ce spectacle lamentable ça vaut bien encore la peine de briller. C’est que le laid est interdit, le cheap et la mauvaise qualité aussi, et ne donne droit qu’au mépris. On leur bourre suffisamment la tête à l’école, et partout d’ailleurs, sur les règles à suivre et celles à ne surtout pas imiter de l’ancienne et hideuse société, alors osez imaginer qu’une fille se promène et se présente ainsi ensanglantée et abîmée impunément devant toute la société ! Pour tous c’est répugnant et ça en est assez.

 

La fille fait partie de ces descendants de nantis qui dans les années 2100 ont survécu quand le reste de l’humanité s’est contentée faute de moyens de finir de se dégrader et de se tuer. Les plus riches des riches ont fomenté un complot souterrain, pour survivre aux catastrophes et aux horreurs que les êtres humains avaient provoquées sous le règne de l’ancienne société de consommation, ce jour périmée.

Le plus simple avait encore été de tous les laisser crever et de créer un monde nouveau tout rose et tout beau. Il n’y avait pas eu grand-chose à faire à dire vrai, puisque la planète avait bien décidé elle-même de s’en occuper. Les populations les moins riches et les plus sacrifiées avaient été éliminées par des pandémies et des raz-de-marée, les guerres économiques militaires ou écologiques avaient fini le travail entamé, et les plus riches avaient créé des lieux où se cacher et se terrer, pour attendre et survivre entre eux et en sécurité.

Le nouveau monde avait été rebâti sur des valeurs qui se voulaient saines, pour ce qu’il restait de l’humanité, et pour aider la planète à accepter de nouveau à les tolérer. Alors on avait créé une utopie, où la fille se faisait chier comme pas permis, un monde beau durable et bio. Un univers où l’on n’exploitait pas sans respect ni les ressources terrestres ni les humains qu’on ne ferait plus vivre dans aucune forme de détresse, du moins en théorie.

La vraie gagnante était la planète Terre qui pouvait de nouveau se dorer la pilule en paix, en étant enfin de nouveau traitée avec respect, par cette race d’animaux savants qui l’avait quelques siècles avant, en un claquement de doigts, presque totalement détruite. Elle n’était enfin plus celle qui était moquée et qui commençait à ne plus être tolérée. Celle que toutes les autres planètes et météorites de son système solaire attendaient de voir mourir, pour s’en débarrasser. Celle qui avait fait tache dans son coin d’univers et dont on avait commencé à chuchoter dans des recoins de plus en plus éloignés, la désignant comme étant la sphère la plus mal-aimée.

 

De nombreuses habitudes pernicieuses des temps anciens avaient été bannies. La publicité par exemple, qui avait été un des fléaux principal qui décuplait les envies avait été réduite. C’est qu’avant l’an zéro de ce monde nouveau, elle était partout tout le temps, du sol au plafond à vous narguer en permanence et à rire de tous ceux qui ne pouvaient rien s’offrir.

À l’époque, on vous sollicitait sans fin avec des besoins qui n’étaient pas réels, on vous créait des envies inutiles qui vous rendez malades en étant toujours quasi inaccessibles et vous faisaient vous sentir mal, vous mettant toujours dans la gêne, la frustration et la peine. Un matraquage visuel permanent du soir au matin partout tout le temps. Sans fin un guet-apens permanent.

Vers la fin tout était habité et habillé de publicité, vos oreillettes, vos lunettes, le sol et les murs, tout était devenu de la réclame, une vraie armée. L’ancien monde ne s’était pas contenté de devenir laid à vous faire vous sentir comme des déchets toujours prêts à en consommer, à vous produire des objets cheap et inutiles, délaissés quasi aussitôt achetés pourtant à la sueur de travail, de salaire, de mauvaises conditions de vie où la beauté de l’âme de l’humanité avait fini par totalement s’étioler.

Pour cette nouvelle aire planétaire, il avait été décidé que chaque humain devrait avoir un rôle à jouer dans la société, que personne ne devrait rester inutile ou en souffrance de côté, que les besoins vitaux de tous devraient être pourvus, et que tout devrait être utile respectueux de l’environnement et beau à la vue. Oui beau, parce que quitte à devoir tout reconstruire, autant se faire plaisir, mais aussi parce qu’à présent toute la société n’était plus que composée de descendants des plus aisés, chacun défendant ses privilèges et en ayant les moyens.

Ainsi chaque objet, bâtiment, rue, vêtement était calibré, la nature elle-même, même si l’on avait cessé de la maltraiter. Le laid était interdit, et la beauté tellement omniprésente qu’au fil du temps elle était devenue une norme d’une banalité presque encombrante. Pouvait-on encore parler de la notion de beau, quand on faisait en sorte que son contraire disparaisse totalement, le laid avait été annihilé, on n’en avait gardé que des traces du passé pour s’éduquer.

Tout était devenu des œuvres d’art, jusqu’à vous en écœurer. La moindre maison, le moindre immeuble était un chef d’œuvre fait au départ pour s’en extasier. On ne pouvait pas s’asseoir, le fessier sur un perron de porte, sans en être submergé, où que vous soyez il fallait en permanence et pour tout en ingérer. Les quelques villes entières et nouvelles, qui avaient été de toutes pièces recréées, avaient été conçues comme des rêves pour y vivre éveillés.

Pour les premières générations, cela avait parfaitement marché. On avait connu la vie sous terre, des existences passées à se cacher, et pour les plus anciens les histoires vraies du monde qui était mort pour avoir été si laid. Mais le temps passant tout était devenu presque un mythe, même si l’on savait et qu’on avait la trace que ça avait été une réalité. On peinait à croire que les humains avaient accepté de vivre plus bas que des nuisibles pour le simple pouvoir du Dieu Économique qui avait été adulé.

Seulement les nouvelles générations, qui baignaient dans ce monde nouveau, abreuvées en permanence et depuis leurs naissances par le beau, avaient besoin d’être éduquées, voir matraquées et conditionnées pour que l’utopie puisse perdurer.

La nature gardait encore un peu de son charme puisqu’on évitait dorénavant de la salir et de trop la contrecarrer. On estimait qu’en elle rien n’était laid puisqu’elle était ce qui avait permis la vie. En réalité, elle avait été reformatée pour correspondre elle aussi à un nouvel idéal que l’on voulait uniformiser. Mais dorénavant au moins on avait arrêté de la polluer et de l’abîmer. Et la planète bleue avait enfin soufflé, apaisée, avait accepté de nouveau de laisser des humains l’habiter dans une sorte de trêve et de paix.

 

Le problème était maintenant que la fille pensait un peu trop tout le temps, et pire par elle-même, indéniablement. Elle s’était rendu compte que la beauté était une notion subjective propre à chacun et à ses émotions, même si fortement conditionnée par le milieu social et les origines diverses et variées qu’on avait.

Au début, elle n’avait pas réussi à formuler et à mettre le doigt dessus, mais petit à petit, insidieusement, c’était venu. Tous ses neurones le lui rappelleraient en permanence en lui hurlant dessus, la fille n’arrivait plus à se l’enlever de la pensée, ça lui pourrissait sa vie et tout son vécu.

Elle se disait qu’on avait beau les matraquer avec l’éducation, il n’en restait pas moins en principe que le libre arbitre devait exister et ne pas être qu’une simple notion. Alors comment avaient-ils réussi à créer une beauté qui marchait pour tous, c’était pour elle sa grande question.

Pourtant ils y étaient arrivés, quel mystère se cachait sous cette nouvelle réalité, qui avait l’air, à part pour elle, de fonctionner. Elle sentait bien qu’elle semblait être seule à se questionner. Elle n’avait pas remarqué que pour beaucoup d’autres il s’agissait juste d’une forme de réalité qu’ils avaient acceptée.

Ils ne manquaient de rien, et tout allait pour tous dans le meilleur des mondes des plus sereins. Une grosse masse de cette nouvelle humanité se contentait de juste digérer ce que la société leur avait prémâché, et pour ces bœufs là, la majorité, cela toujours suffirait. Ou du moins, c’est ce qu’on laissait croire et une paix fausse en profitait pour perdurer.

Pour ceux qui comme elles criaient en dedans d’eux-mêmes, se contentant pour le moment d’y penser, rageant de ne pas oser se manifester, n’ayant pas le courage d’en parler, car après tout on savait ce qu’on avait, mais on n’avait aucune idée de se qu’on perdrait se faire remarquer, il était impossible de savourer et de trouver ici un bonheur réel et parfait.

La fille savait pourtant tout ça, elle en avait à l’école suffisamment soupé de cette propagande pour hisser à son sommet la gloire de cette humanité. Mais elle n’arrivait pas à se sentir touchée et en osmose avec tout ce qu’on lui fourrait sous le nez. Elle était de toute façon un peu une rebelle, de celles qui, malheureusement pour elle, apprenaient et ne pouvaient s’empêcher ensuite de réfléchir par elle-même.

 

 

La fille a mal au crâne maintenant qu’elle est tombée et s’est relevée, elle en rit jaune de toutes ses idées qu’elle ne cesse de ressasser, de toute façon elle n’a jamais aimé qu’on lui dise ce qu’elle devait penser. Elle fait partie de ses rares personnes qui sont comme des électrons libres dans cette société totalement maîtrisée. Ceux dont on n’a jamais réussi à remplir la cervelle bien comme il fallait, dont on n’a pas réussi à faire de la soupe de neurones formatés, parce qu’ayant un dysfonctionnement : un esprit trop bien affûté.

La fille est une libre penseuse, une philosophe, une terroriste de la pensée. Elle est tout ce qu’il faudrait recadrer et reformater pour un monde uniforme où tout le monde tend vers la même idée. Ou du moins où tout le monde fait semblant d’avoir accepté de s’y plier avec le sourire et sans avoir rien à cacher.

Elle flâne le nez au vent le temps de rentrer chez elle, elle a laissé sa microcaméra tourner, accrochée à la bretelle de son sac à dos siglé. Son regard part sur la diversité des bâtiments et des matériaux, c’est vrai qu’individuellement tout est beau. Mais tout est également disparate, les styles se mélangeant, cet éclectisme pourrait être dérangeant, il n’en est rien, tout matche parfaitement. Des colonnes d’inspiration platonicienne au bâtiment de verre et métal entremêlé, en passant par le brut du béton d’inspiration des frères Perret, tout n’est que beauté. La fille, bien que ça lui arrache la bouche, le reconnaît.

Elle rentre enfin chez elle, le lieu où elle a élu domicile, c’est-à-dire un chalet en bois avec une petite balancelle sur un péristyle, le tout perché au sommet d’une tour à la hauteur démesurée, son petit habitat est tout en haut, tout caché. Posé sur une mare d’eau entourée de verdure, son logement est comme un îlot de nature qui perdure, un minuscule bout de terre qui aurait poussé à 500 mètres du sol, sur un building d’un tout autre style. C’est comme une microscopique petite île de l’ancienne Suède sur une tour d’inspiration postmoderne.

Ce monde à moins un avantage certain : c’est que c’est à tout un chacun de trouver ou d’inventer le lieu où il lui plairait de résider, encore faut-il que celui-ci après soit validé par les jurys du Ministère de l’Habitat de l’Environnement et de la Beauté.

La fille ne saigne plus vraiment et passe se débarbouiller et se désinfecter, son miroir et son lavabo la laissent faire, un peu dégoûtés de se retrouver ainsi aspergés de vilaine saleté. Puis elle se pose sur la petite terrasse de son chalet, dégaine son ordinateur holographique, et commence à regarder la vidéo qu’elle vient d’enregistrer.

Et la voilà qui passe sa fin d’après-midi et sa soirée à la consulter. Elle se mire dans les yeux des passants qui ont tous l’air plus ou moins outrés de l’avoir croisée dans un état de laideur assumée. Pourtant personne n’est venu ouvertement l’interpeller, la fille se rend compte qu’en plus du dégoût et du mépris c’est une forme de terreur qui semble tous les avoir pris.

Une fille blessée déambulant en public tranquillement et encore pire sciemment, sans avoir fait mine ne serait-ce que d’appeler une des assistances gratuites pour tous qui viennent vous soigner et vous remettre en beauté, leur a semblé aussitôt un danger. La fille sans y réfléchir s’est rendue coupable d’une performance artistique de désaxée, c’est le deuxième attentat qu’elle a perpétué de toute sa vie et dans une seule et même journée.

Un trop-plein de pensées commence à la submerger, mais elle est interrompue par une des brigades des soins d’urgence et d’esthétique qui franchit son portique. C’est qu’en passant par l’entrée de la tour, le gardien, sculpteur de bien-être des espaces publics de celle-ci, l’a aperçue et en a pâli. Il s’est aussitôt demandé s’il s’agissait d’une nouvelle mode esthétique qui venait d’arriver, et pour en être certain, il est parti consulter le dictionnaire de l’esthétique et de la beauté qui en permanence est maintenu à jour à l’instant T. Il s’est dépêché de bien tout vérifier.

Malheureusement dedans il n’a rien trouvé. Il s’agissait donc au choix d’une personne gravement blessée à la tête et traumatisée, et dont la santé est en danger. Ou bien pire encore d’une forcenée, ce qui paraît il n’est jamais arrivé. Il a longuement tergiversé, puis il a appelé les autorités.

Les voilà donc autour d’elle en train de s’affairer.

 

La fille n’est pas vraiment surprise de cette intrusion. Elle se demandait combien de temps ils mettraient à débarquer au fond. C’est qu’on ne croise jamais personne d’abîmé, de défiguré ou de blessé, au moindre bobo, à la plus petite éraflure ou griffure, tout le monde se cloisonne à l’abri de la honte et du mépris, et appel et attend sagement que les services de sauvetage viennent vous cueillir pour vous guérir.

C’est la guerre aux cicatrices, au handicap et aux blessures, on ne laisse personne sans une belle peau bien pure. Quant aux malformations et autres blessés, elle se rend compte qu’elle n’en a jamais croisé.

Ses pensées commencent à tournicoter, pendant que les voilà à s’affairer et à dramatiser. Elle n’a qu’une petite ouverture à la tempe, mais celle-ci ayant saigné abondamment, les passants ou celui qui l’a balancée devaient penser à pire qu’à un petit bobo qui ne mériterait qu’un pansement. De toute manière, il est inimaginable qu’on la laisse avec une cicatrice. Ici même une légère trace d’une ancienne coupure, ou un ongle cassé, sont considérés comme des vices à éradiquer.

Les autorités s’inquiètent surtout du fait qu’elle se soit promenée ainsi, comme en état de grâce alors qu’elle était d’une laideur à faire peur, et qu’elle n’ait pas suivi le protocole pour les blessés en danger de lèse-beauté. Ils en déduisent qu’elle a forcément pris un coup grave sur la tête, alors on l’ausculte de partout et l’on vérifie tout. Il ne faudrait pas la quitter en laissant sur ou en elle quelque chose de contrefait, de contre nature pour la société.

On la soigne, on la répare, on la re-rend parfaite. On efface à l’aide d’une technologie high-tech la vilaine marque sur sa tête. On la rescanne de haut en bas pour vérifier qu’il n’y a aucun autre dégât. Et puis maintenant qu’on la pense rénovée et acceptable pour de nouveau pouvoir se montrer, on la quitte en la laissant en paix. De la fille ils ont un peu pitié, pauvre petite qui s’est ainsi promenée et montrée. On lui propose un numéro de service d’aide psychologique, pour se remettre si besoin de cette promenade tragique.

La fille pendant tout ce temps n’a pas cessé de cogiter. Ça tourbillonne dans sa tête, à lui en faire péter les neurones. Toute sa matière grise lui crie dessus, cette société est un abus. Il y a comme quelque chose qui bouge dans son crâne depuis le choc, quelque chose de latent, des idées dérangeantes qui avaient commencé comme clandestinement à se développer, qui sont maintenant occupées en elle à sauvagement se déverser. Elle a envie de vomir, pourtant elle n’a pas de réel traumatisme crânien qui l’empoisonnerait. La fille quand elle pense maintenant à son monde n’a plus simplement envie de ricaner, une part de tragédie dans son cynisme et venue s’ajouter.

 

Elle passe sa nuit à ressasser et à regarder en boucle sa vidéo qui l’obsède un peu trop. À la première heure le matin, après avoir vu sa face dans la glace, sa peau lisse et splendide où de son accident il ne reste aucune trace, la fille sent comme un malaise qui revient comme une menace.

Elle ressent le besoin de courir à la bibliothèque voir si son sang toujours sur le parquet se reflète. Elle veut savoir si même cette petite trace accidentelle d’elle a été vue comme un poison qui méritait aussitôt d’être vaincu et dans la minute d’avoir disparu. Et surtout, elle sait maintenant sur quoi son mémoire se doit de se porter, sur l’importance de la diversité de la non-maîtrise de la vie dans sa totalité, de l’acceptation de la différence du hasard de l’accidenté, et par conséquent du laid.

Elle attend devant son bureau son tuteur, qu’elle attrape dès son arrivée pour venir lui expliquer ce qu’il en est. Au début, celui-ci est emballé, puis comprenant que finalement il ne s’agit pas là d’une apologie de leur société, mais bien d’une critique sur l’importance du laid qui devrait aussi faire partie de la biodiversité, celui-ci est effrayé.

Il se dit qu’il ne doit pas avoir bien compris. Qu’est-ce que c’est que cette gamine dont l’esprit clairement faiblit. Son choc à la tête doit l’avoir rendu un peu bête. Il s’inquiète que les urgences et les autorités compétentes ne l’aient pas bien soignée. Il lui conseille de se calmer, parce qu’elle est clairement surmenée et qu’elle n’arrive pas à expliquer son projet. Ça ne peut-être que cela. Et il lui conseille de revenir dans quelques jours puis la renvoie.

La fille boude, mais à quoi s’attendait-elle. Elle se rend compte que c’est stupide même venant d’elle, qu’elle se tire une balle dans le pied. Qu’elle aurait dû la jouer plus fine et faire semblant de se couler dans le moule pour mieux le dénoncer. Elle fera ce qu’il a dit, faire semblant de se reposer, puis tout reformuler, et faire semblant d’adhérer bien que son travail aura pour fonction de dénoncer. De toute façon, qu’est-ce qui pourrait bien lui arriver, il n’y a ici pas de punitions puisque dans ce monde merveilleux il n’y a pas de possibilités de transgressions.

Elle rentre dans la salle où elle a chuté hier. Il n’y a plus traces de rien. Le parquet resplendit, il a été entièrement poncé et lustré, plus aucune trace de ce sang imparfait. Elle se sent glacée par l’ambiance de ce lieu dans lequel elle semble ne jamais avoir existé. Les rayonnages remplis de livres de la bibliothèque se retiennent de ne pas aller se jeter sur son crâne et le coin de son nez, sur cette vilaine péronnelle qui s’est permis d’essayer de salir et d’abîmer ce lieu, en laissant son sang se déverser sur eux, les mettant en menace de fermeture et de lieu à éviter.

Elle en ressort, elle commence à être sérieusement agacée. De rage, elle shoote dans un parterre de fleurs qui ne lui a rien demandé et qui est aussitôt réparé et remis sur pieds. Encore une fois, on l’a regardé avec peur et curiosité, car ici même les sentiments laids sont à proscrire et ne pas montrer. Alors normalement on se contient et l’on s’y tient, on ne les explore que chez soi caché comme un rat, ou simplement quand on est bien formaté, on n’en a jamais qui viennent vous traverser la pensée.

 

Quelques jours plus tard, elle renaît. Elle est restée sagement chez elle pour faire semblant de se retirer et se reposer, mais elle n’a fait que réfléchir à comment mener à bien son projet. Elle retourne voir son tuteur et revient à la charge en reformulant ses idées, elle bat des cils, elle est toute amour et beauté.

Son tuteur acquiesce, il est soulagé, il avait peur sinon de devoir la dénoncer, mais à qui, il n’en avait aucune idée, aucun de ses étudiants n’avait eu de telles idées. En réalité, la fille n’a pas lâché le morceau, mais elle a besoin de son accord pour obtenir un pass qui va lui permettre d’accéder à la bibliothèque de recherche et surtout à son enfer, compilant les documents et les traces du passé, même si au fond elle ne sait pas ce qu’elle va y déterrer.

La fille ne sait pas encore qu’elle s’est embarquée dans un projet qui l’occupera et l’obsédera pendant des décennies, jusqu’à la fin de sa vie. Jusqu’à l’isoler et la rendre seule et aigrie.

Elle va mettre des années à faire ses recherches et à mener à bien son mémoire qui tous les dénonce et les conteste. Elle devra l’écrire de manière à ce qu’une double lecture soit possible, pour ne pas prendre un risque dont elle ne connaît ni les tenants ni les aboutissants. Il va falloir la jouer finement, que chacun y lise ce qu’il veut y voir vraiment.

La fille ne saura jamais si quelqu’un d’autre comme elle y lira ce qu’elle a vraiment voulu exprimer. Cela a dû probablement arriver, mais personne n’osera jamais par pression aller le lui dire même à demi-mot ou tout simplement lui avouer.

Elle va donc passer plusieurs années à aller fouiner dans le lieu déserté qu’est l’enfer de cette bibliothèque, où est gardé bien à l’abri, et mis à disposition uniquement d’un public sélectionné et averti, les documents contenant des traces et des témoignages de cet ancien monde décadent et purulent d’avant.

Personne de sensé n’a vraiment envie d’y mettre les pieds, et puis c’est déconseillé. Mais elle s’accroche et l’écriture de son mémoire semble s’étirer. C’est que tout ce qui lui passe devant les yeux semble la fasciner. Un mouvement d’attraction répulsion en elle fait fusion.

Si personne ne s’inquiète que son mémoire soit devenu une thèse, que celle-ci semble maintenant s’étirer à l’infini, être une recherche sans fin qui jamais n’aboutit, c’est simplement que dans ce monde on aime les passionnés qui enquêtent sur la beauté. Et comme tout le monde se persuade qu’il s’agit pour elle d’un amour profond de ce sujet, on la laisse se perdre et on la finance pendant toutes ses années.

Seul son tuteur fait parfois des cauchemars la nuit qui le réveille à de drôles d’heures. Il resurgit dans son inconscient, la nuit, la première conversation qu’il avait eue avec elle, et qui lui laisse au fond une peur sourde, mais qu’il essaie de taire en se persuadant maintenant qu’il la juge réellement irréelle.

 

La fille va tous les jours de la semaine se terrer dans l’enfer de cette documentation, qui en rougit de plaisir d’être consultée sans les jugements et le dégoût habituels qui ne sont normalement pas en option, mais une obligation de bon ton.

Ses temps libres, elle les passe le nez au vent à essayer de mieux comprendre tout cet art partout tout le temps. Elle essaie de comprendre et de mettre le doigt sur le problème sous-jacent et caché qui semble là se poser.

Elle sait au fond d’elle que quelque chose cloche, il y a partout pour tout dans sans tête une anicroche. Elle n’arrive plus à profiter de rien sans qu’une arrière-pensée mauvaise, mais brillante lui file le train. La fille a détecté ce qu’il y avait de malsain.

Au fil du temps toutes ses formes d’arts, partout à l’ouvrage pour vous ravir, dans cette ville taillée parfaite comme un saphir, commence de plus en plus à la faire dépérir. Alors la fille sur son temps libre commence à saccager à micro dose toute cette beauté.

Elle voudrait y ajouter de l’intelligence, du libre arbitre, les faire tous réfléchir et bien vouloir se pencher sur ce que leur monde a de bizarre et de mauvais, à vouloir éradiquer tout ce qui n’est pas bien défini et calibré.

Elle s’en prend en permanence aux bâtiments, aux statues, au décorum, à tout ce qui fait de cette ville un lieu où l’âme est uniforme, et où à l’unisson tous comme un seul chantonnent sans qu’aucune pensée vraiment libre ne résonne. Plus le temps passe et plus la fille se sent embourbée dans cette réalité de théâtralité.

Alors elle reprend un art vieux comme le monde, qui à la base n’était qu’un outil de contestation, jusqu’à ce que le XXe siècle en fasse un mouvement d’art qui finira par lui retirer son but premier de dénonciation. En lui offrant son moment de gloire, le graffiti qui était avant tout une manière de montrer sa colère, son désaccord ou son désespoir, avait fini par devenir au XXIe siècle, un art de galerie coté et monétisé que s’arrachaient les riches et puissants, les mêmes que celui-ci était censé dénoncer et recracher.

Et la voilà qui sabote de mille et une façons cette accumulation de beauté sans nom, sur plein de façades, de trottoirs ou de mobiliers urbains, tous hautement design, en laissant de petites phrases assassines sur le laid qui est en elle, et elle le sait au fond en tous, et qui trépigne d’avoir le droit d’exister, l’être humain n’étant pas naturellement un être parfait.

 

Pour cela, elle se promène souvent, marche lentement, repère les endroits où commettre ses attentats, bien qu’innocents, car ne faisant pas de victimes. Sous ses pas la ville frémis, à l’idée de se faire saccager par une sagouine qui n’a pour elle pas de respect. Elle revient les nuits dans les endroits qu’elle a choisis, elle vient inscrire ses contestations, sa haine de la perfection. Alors elle écrit, gratte, grave, salit, dessine partout, sabote à son niveau de petit humain qui lutte contre le zéro défaut.

Mais toujours quand elle revient sur les lieux de ses crimes, il ne reste rien qui puisse lui penser qu’elle l’a vraiment fait. Aussitôt sali, presque aussitôt repéré, dénoncé, aussitôt réparé.

La fille écume de rage et pourrait se décourager, mais rien n’y fait, elle recommence, elle réitère, elle s’exaspère. Mais elle ne lâche pas le morceau, et ses mots deviennent de plus en plus gros. Elle envahit l’espace, ses messages prennent de l’ampleur, elle reste cachée à guetter pour voir quand ils viennent secrètement au petit matin tout enlever, et aussitôt elle en remet.

Avec cette volonté qui lui ravage l’esprit et qui commence à porter sur sa santé, elle arrive tout de même à se faire remarquer. Le murmure monte, on commence à jaser. Il y a, paraît-il, une personne anonyme qui se permet de laisser un peu partout dans la ville des petites phrases loin d’être anodines.

On se fait un peu peur, on se fait frémir et l’on s’extasie, la rumeur monte, et la fille elle se dit qu’elle réussit, mais que ça va être aussi le début des ennuis. Les habitants le matin traquent les messages cachés sur leur chemin. C’est un peu foufou et ça les sort de leur quotidien. Et puis quand ils tombent nez à nez sur un message qui a réussi à rester affiché, ils le prennent en photos et le partagent aux amis aux proches, et ils ne se lassent plus de le commenter.

Mais ils n’y voient que de l’ironie, et ne veulent y lire que ce que depuis toujours ils ont bien appris. Pour eux, voilà l’émergence d’un nouvel artiste-satiriste. De toute manière, tous pensent que si ces messages sont visibles et prolifèrent c’est que les autorités veulent bien les laisser. Ils sont tellement aveuglés par leur petit univers parfait, qu’ils n’y voient même pas une critique bien réelle et assez véhémente de leur société. Non, ils y voient une forme d’adoration cachée, une forme d’humour pour les faire grincer, car sous leurs œillères il n’y a pas de place pour une perte de leurs repères.

Les mots laissés par la fille défilent et font le tour des bouches, on y voit maintenant l’émergence d’une nouvelle forme d’art, et tous d’être grisés et enivrés par ce nouvel artiste qui vient d’émerger. La fille reçoit un sacre alors qu’elle essayait de les secouer. Son projet en lui-même est déjà avorté.

Néanmoins, la plaisanterie a assez duré et les autorités finissent par s’en mêler. Ils cueillent la fille qui n’avait aucune chance de s’en échapper. Elle-même de toute manière savait que ce moment finirait par arriver, qu’elle ne pourrait pas rester tranquillement à abîmer et écrire de telles horreurs impunément.

Pour sauver la face, les hautes autorités feront sembler que tout avait été fait sous leur contrôle et que tout était bien validé et contrôlé. On décernera un prix d’esthétique d’art et d’humour à la terroriste pour la maîtriser. Devant ce prix qui lui apportera une renommée, elle se fera totalement étouffer.

On la congratule pour son avant-gardisme de petite effrontée et le soufflet retombe, cela n’aura rien changé. Les esprits ne se seront pas ouverts, mais la « grande artiste » est maintenant surveillée, et quoi qu’elle dise ou produise, on en fait une espèce de comique cynique que plus personne ne sera jamais tenté de prendre au premier degré.

Alors on lui décerne son diplôme et on lui offre un poste d’artiste chercheuse sur un plateau, en lui faisant comprendre qu’il n’y aura plus de vagues, car il y aura toujours quelqu’un pour la surveiller et la maîtriser.

Quoi qu’elle fasse en public maintenant, on la reconnaît, on l’applaudit, elle ne fait plus peur, tout le monde lui sourit. La fille renonce à ouvrir leurs esprits, et sur elle-même, car on l’isole encore plus, elle se replie.

 

Le temps passe et la fille vieillit. C’est maintenant une chercheuse reconnue, mais que personne en réalité n’a lue. Elle passe son temps terrée dans sa bibliothèque des damnés. On lui ouvre des droits d’accès pour l’occuper, de toute manière qui croirait maintenant cette artiste loufoque et volontairement décalée. On lui permet d’accéder à des documents qui sont normalement censurés, ça l’occupe et ça permet de la maîtriser.

Et plus ses recherches avancent plus elle découvre la biodiversité de l’humanité. Ça finit par en être trop, elle est sûre maintenant que quelque que chose se trame pour qu’ils soient tous aussi beaux.

Leur société ne maîtrise pas uniquement leur environnement, mais avant tout la fabrication même des habitants. C’est qu’ils sont tous calibrés. Leur univers est un eugénisme qui ne laisse pas sa chance aux déficiences génétiques, cela fait de tous des poupées parfaites génétiquement modifiées et sélectionnées, non droit à la naissance que les humains formatés. Les naissances sont régulées, dans leur nombre et leurs qualités. On vous prépare avant même d’avoir pour la première fois pu respirer.

À cette découverte, qu’elle vit comme une révélation est une certitude, sa cicatrice qui n’existe plus depuis plusieurs années se met à la redémanger, et au fil des jours à lui manquer. À un point tel que devant son échec avéré, il lui devient important de se refaire sa blessure pour protester. Mais cette fois-ci, elle essaiera de ne pas se faire soigner.

Grande peine lui en prend, puisqu’aussitôt tailladée, à chaque sortie quand elle quitte son chalet, comme elle est en permanence surveillée dans l’espace public, quelqu’un finit toujours par intervenir et la force à se faire réparer.

La fille se rend compte qu’elle est comme tout leur environnement, comme une de leur œuvre d’art ou comme les bâtiments, comme ceux où elle écrivait ses messages, obligée à la beauté, de gré ou de force elle se fera toujours restaurer. Aucune trace de saccage, aucun outrage n’est accepté.

La fille se coupe, se découpe, s’entaille des dizaines et des dizaines de fois et rien n’y fait. Alors d’agacement elle décide de se couper une frange pour y cacher sa blessure et pouvoir en secret la garder. Un toc lui viendra même de régulièrement s’arracher sa croûte et de remettre à vif sa plaie, pour se sentir dans toute sa complexité, son imparfaite humanité, réellement être elle-même et pleinement exister.

Elle se l’arrachera sans fin, à défaut de pouvoir enlever celles qui composent des œillères à ses contemporains.

La voleuse de vélo

 

La voleuse de vélo

Concours de nouvelles - Voyage sans repère- Normandie Livre & Lecture

02/03/2020 - Rebecca Rotermund

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La fille avait enfourché un vélo, sans vraiment réfléchir, elle n’en pouvait plus de se sentir coincée ainsi, de toujours se sentir à côté des autres ou en trop. Alors, un beau matin, ce genre de matin où elle était debout bien trop tôt, parce que les insomnies venaient souvent la saluer la nuit, quand Morphée lui se faisait un plaisir de la snober, la fille avait pété un plomb et s’en était allée.

 

Le vélo avait souri, et heureux d’être utilisé, avait grincé comme pour la saluer, même si elle n’était pas sa propriétaire, appartenant en réalité à son bobo de voisin qui pensait le laisser en sécurité sur son palier. Son périple hasardeux avait commencé par un vol volontaire, elle était partie le cœur à la fois battant, mais étrangement apaisé, malgré ce vol aggravé.

 

Le sourire aux lèvres elle y repense maintenant qu’elle se tient dans la lumière dorée, entourée de toute cette beauté. Elle se revoit, extérieure à elle-même, comme dans une scène de cinéma, au moment où se sont imposés à elle ce départ imprévu et ce vol peu courtois.

 

La fille se visualise dans ce qui fut son ridicule et minuscule appartement.

Sa tasse de café à la main, le soleil qui hésitait encore à se lever par là-bas, derrière cette vue figée par des immeubles laids au loin, tout semblant lui annoncer encore une journée laborieuse qu’elle n’arriverait pas à savourer. Sa vie ne lui semblait pas la peine d’être vécue, perdue dans une routine de galères dont elle n’arrivait pas, malgré tous ses efforts, à s’extirper.

Ce jour de vol, elle avait regardé les rayons du soleil qui essayaient de l’attirer, luttant contre cet espace peu dégagé, pour gagner sa vue et l’égayer, comme pour lui signifier qu’elle aussi elle n’avait qu’à franchir ces barres d’immeubles et partir pour changer d’horizon et enfin rayonner.

 

La fille avait avalé son café à une vitesse effrénée, s’était brûlé la langue, avait juré comme un charretier, jeté sa tasse dans l’évier sans prendre la peine de la nettoyer, sans fixer son attention sur le cri déchirant que celle-ci lui avait renvoyé en se voyant maltraitée et ébréchée.

Elle n’y avait pas prêté attention, ce contentant de foncer dans son placard, en extirpant un sac à dos trop longtemps délaissé, une tente hightech jamais utilisée, un duvet, tout un tas de fatras fait pour voyager, qui l’avait attendu là bien sagement à se morfondre en se disant qu’on ne l’utiliserait plus jamais.

 

C’est que la fille, dans ses vertes années, avait eu le projet de voyager et de voir du paysage défiler. Au lieu de ça, elle n’avait fait qu’étudier, engranger des diplômes dont personne ne voulait, essayant par mille et un moyens d’exister et de se conformer à une société où un CDI semblait être un Saint-Graal et la clé.

Plus jeune elle avait acheté tout ce matériel en se disant qu’à chaque vacances elle en profiterait, mais la réalité du marché du travail l’avait rattrapée et elle n’avait jamais eu de vacances, juste des périodes d’inactivité où elle restait coincée dans une sorte de transe à essayer de se sortir de son chômage, à ramer après le bon vouloir des contrats, à ne jamais s’éloigner de peur de rater sa chance et des opportunités.

Le plus fou qu’elle avait fait avait été de passer quelque rares fois une nuitée dans une forêt jamais trop loin avec quelques copains.

 

La fille caresse maintenant des yeux la beauté des statues, et des mille et un monuments qui composent les rues. Elle se repaît du spectacle des lueurs vibrantes qui s’éveillent sur cette ville qui est spectaculaire et pourtant si vieille et si attendue. Des larmes de joies lui montent aux prunelles, le voyage en termes de trajet s’est achevé, mais l’aventure ne fait que continuer.

 

Elle rit un instant les yeux embués, elle rit d’être arrivée ici, elle qui était partie sur un coup de tête comme une furie. C’est qu’après avoir enfourché le vélo, et mis son équipement sur le porte-bagages et sur son dos, elle n’avait eu aucune idée d’où se diriger, alors au début, comme au milieu ou à la fin, elle s’était contentée de pédaler.

Sortir rapidement de la grande ville polluée avait été la toute première idée, alors elle avait filé sur les pavés disjoints et le macadam mal-aimé. Il lui avait semblé en s’éloignant de son appartement que les fenêtres de la maison lui souriaient, lui disant au revoir, lui murmurant qu’elle avait bien fait.

 

La fille avait roulé jusqu’à un sous-bois en bordure de la cité, endroit où elle avait toujours aimé aller se promener pour se ressourcer. Les sentiers chaleureux avaient ouvert grand leurs échappées pour l’accueillir, traçant un chemin sans qu’elle ait besoin d’y réfléchir. Elle avait continué, traversant par moment des hameaux et des petits villages, mais prenant soin de toujours contourner de loin les grandes villes et tous leurs humains pas sages.

 

Elle s’était permis une sieste, dans une petite clairière qui semblait sortir d’une autre ère, somnolant à l’ombre d’un arbre qu’elle avait soupçonné d’être pour elle une joyeuse et protectrice dryade. Et puis comme ressourcée, avec seulement dans le ventre son antique petit déjeuner, elle était partie toute ragaillardie, admirant la verdure qui défilait, roulant sous de jolis et feuillus sommets.

 

La faim et la fatigue étaient venues, elle avait eu la chance de passer dans un village paumé, lui tout heureux de voir une nouvelle arrivante passer et s’y arrêter. Elle avait posé son vélo contre une grosse fontaine en pierre, joli objet vieillot qui ne servait plus guère.

Sur les pavés polis par les décennies et les années, elle avait apprécié de sentir ses pieds un peu au hasard la mener. Une petite épicerie lui avait tendu les bras, elle avait dégainé sa carte bleue et fait une mini razzia. Puis elle était allée déguster ces quelques mets sur la margelle de la fontaine qui l’attendait aux aguets.

 

Des vieillards étaient sortis de nulle part comme pour prendre le frais, en réalité ils étaient venus voir qui était cette jeune femme en vélo jusqu’ici et ce qu’elle faisait. Ils s’étaient répartis comme des moineaux, grappillant des miettes nouvelles de jeunesse et de vitalité, autour de cette placette, heureux de voir de la nouveauté, malgré leurs airs de prime abord fermés et renfrognés, au fond gais comme des pinsons, devant l’incongruité de cette jeune femme inconnue en vélo et en goguette.

 

Un échange timide avait commencé à se créer, puis c’est tout un tas de conversations et de questions qui avaient été échangé. Le jour avait continué à se dérouler et le soir n’allait pas tarder à tomber. Cela faisait maintenant plusieurs heures que tout le monde lentement mais sûrement discutait. Les vieux étaient mi-méfiants mi-enchantés, totalement éberlués par cette jeune femme qui, sur un coup de tête, sans savoir où elle allait, avait décidé de tout quitter.

 

Et ça avait été l’heure d’aller dîner, et comme cette journée sortait de l’ordinaire, que ce village majoritairement de vieillards sortait de son monde solitaire, on avait décidé d’inviter la jeune femme à rester souper. Les petits moineaux étaient partis les uns les autres chercher chez eux de quoi manger, et puis on était allé se regrouper chez celui qui avait le plus de place pour recevoir tous les invités.

 

Au fil de la soirée les discussions s’étaient espacées, la fatigue était venue s’inviter, les touchant du doigt, effleurant leurs nuques, et chuchotant à leurs esprits qu’il était l’heure d’aller se coucher. Alors ils avaient proposé à la jeune fille de rester pour la nuit. Et elle avait accepté, elle était partie prendre son vélo et son maigre barda, et avait suivi celui qui habitait le plus en bordure de ce village-là, pour planter sa tente dans un joli jardin légèrement en pente, dévalant vers des près, et puis avec au loin une vue sur la forêt par laquelle elle sentait que demain elle s’en irait.

 

La fille avait dormi là. Elle était d’abord restée longuement allongée dans l’herbe qui s’amusait à la titiller en la chatouillant avec son humidité. La face tendue vers le ciel et le nez sous les étoiles pour une fois pas cachées par la pollution lumineuse des villes comme sous un voile.

Elle s’était sentie toute petite et insignifiante, mais en avait ri, c’était pourtant ce qu’elle ressentait en permanence dans sa vie, et ce qui l’avait fait partir après des années sans plus savoir sourire.

Alanguie là sur ce tapis ondulant et vert, elle se savait minuscule tel un grain de poussière dans tout cet univers, mais cela lui semblait enfin être une chose apaisante, elle ne se sentait plus noyée dans la vacuité même si elle ne savait toujours pas où aller.

 

Le feu de bois à ses côtés s’était consumé longuement et dans la gaieté, se sentant important, par la fille apprécié. Leurs yeux à tous les deux avaient commencé à se fermer, alors elle était partie se coucher dans sa tente. Mais son regard et son âme étaient restés figés dans la beauté qu’a le ciel la nuit quand on prend le temps de l’admirer. Elle avait sombré, une vraie nuit de sommeil l’avait accueilli, elle qui ne connaissant plus vraiment du sommeil que son déni.

 

La fille trottine à présent de nouveau dans une ville, mais c’est une joie sans limites dans son cœur qui s’épand, elle qui a définitivement quitté la morosité. Elle marche sans savoir où elle va, elle n’a pas besoin d’une carte pour se repérer dans cette cité-là.

Ici, presque tout est beauté, que les monuments soient ou non classés. C’est une ville, mais c’est avant tout une histoire de l’humanité et de la beauté, qui ne cesse à chaque instant de bien vouloir défiler. Alors la fille marche amoureusement entre les murs, presque sautillante parfois sur les pavés.

 

Devant le soleil qui se lève la fille songe à ce premier matin après son départ, à son réveil dans la tente fraîche et accueillante, à comment elle s’était sentie comme un ver protégé dans son cocon, comme une petite chose fragile et encore un peu laide, mais en pleine mutation.

Elle n’avait pas dormi de nombreuses heures, mais d’un sommeil profond ou Morphée l’avait happé avec joie et ardeur, où la nuit pour une fois ne l’avait pas rejeté, mais aimée.

Elle voyait sur la toile les dards du soleil qui y jouaient pour l’inviter à sortir et à venir les voir se déployer. Alors elle avait fait glisser les fermetures éclairs de son habitat, et avait passé la tête puis le corps entier pour s’étirer et était restée figée là.

 

Le vieux monsieur, déjà debout dans sa maison, l’avait vu de la fenêtre de son salon, était sorti poser de quoi petit déjeuner, en disposant le tout sur les vieux bancs en pierre qui longeait sa maisonnée.

Alors ils s’étaient silencieusement salués, et avaient savouré comme une toute première fois les odeurs du café, redécouvert les goûts et les saveurs de ces mets pourtant déjà des milliers de fois consommés.

Ils avaient admiré le spectacle de la nature qui se réveillait sous les caresses du Dieu Hélios qui, dans sa grande bonté, sous leurs simples yeux de mortels, avait accepté de se livrer.

 

Deux bonnes heures de quasi-silence s’étaient écoulées. Mais de ce silence riche de non-dits, et de la nature et de la vie qui livraient en fond sonore leurs musicalités. Ils étaient bien au chaud sous des couvertures de laine qui se gardaient pour leur plaisir et confort de les gratter, sur leur banc de pierre vermoulu, mais solide, à l’image de leur petit propriétaire sans âge, buriné et usé délicatement par la vie, mais heureux et sage d’être ici.

 

Devant la beauté de ce phénomène simple et ordinaire, d’un lever de soleil qui, avec ou sans spectateur, faisait son apparition chaque jour depuis des millénaires, la fille avait ressenti la même sensation que devant les étoiles la nuit.

Elle avait compris que le temps s’égrenait immuable malgré elle, que l’existence du monde se ferait avec ou sans sa personne, mais que la vie pour une fois faisant son chemin en elle. Qu’il n’y avait pas de place prédestinée, sauf peut-être pour quelques chanceux qui avait l’impression d’avoir un chemin tout tracé.

Elle avait compris métaphoriquement qu’elle pourrait indéfiniment voyager sans savoir où aller, si ça n’était pas elle-même qui se fixait un but, elle en avait la certitude, l’idée dans sa tête était venue s’imprimer.

 

Elle savait maintenant que jusqu’à présent elle n’avait pas pris le bon chemin pour trouver son bonheur, qu’elle n’avait fait que suivre ce qu’on attendait d’elle, qu’elle avait marché toute sa vie la tête baissée en bête de somme qui se sentait entravée, traversant durement l’existence, se cognant l’âme de partout, heurtée de plein fouet.

Elle comprenait qu’il lui faudrait s’intégrer à la société, qu’elle n’aurait pas la force de vivre en autarcie, mais qu’elle ne voulait plus elle-même se sentir au fond, dans sa personne, totalement bafouée. Elle savait le temps qui passe tout doucement, presque sournoisement, sans laisser presque de traces, qu’il était son bien le plus précieux, pour arriver à vivre à sa place.

 

Elle avait remercié le vieux monsieur, lui avait demandé de signaler sa gratitude à tous ceux qu’elle avait vu le jour précédent, et elle lui avait fait ses adieux. Il lui avait indiqué par delà la forêt une vieille abbaye en ruines à aller visiter.

Elle avait repris le vélo, sans toujours avoir une réelle idée jusqu’où celui-ci l’emmènerait, mais bien décidée à continuer ignorant ni où ni comment elle continuerait son trajet. Elle s’était laissé porter jusqu’au lieu indiqué.

Son voyage intérieur venait néanmoins de se décanter, elle allait rouler vers son bonheur vers une existence dont l’étoile de l’apaisement, qui l’avait déjà saisi, la guiderait.

 

Les journées dans cette incertitude sereine avaient continué à se dérouler. Elle avait roulé, fait des pauses, mangé. La fille avait parfois dormi seule dans des champs, et plus souvent chez des personnes qui avaient fait preuve de bienveillance, et de curiosité, des personnes qui en échange de rien lui avaient montré leur humanité.

On l’avait nourri, hébergé, on lui avait permis de se laver, parfois de rester un jour ou deux pour se reposer. Et toujours, on lui avait indiqué les belles choses proches à aller admirer, dans les contrées qu’elle avait traversées. Elle avait rempli son esprit de beauté, ouvert son âme au monde qui jusque là s’y était refusé.

 

Pas une fois elle n’avait pensé à son appartement, aux factures qui s’y accumulaient. Parfois, elle pensait aux quelques parents et amis qui devaient s’inquiéter, alors, pas acquis de conscience, elle leur envoyait de vieilles cartes postales défraîchies quand de temps en temps elle en trouvait. Des cartes qui en étaient ravies d’être enfin utilisées, elles qui étaient devenues des objets obsolètes que peu de monde encore envoyait, des bouts de papier presque sans vie qui restaient dans leurs étals à trépigner.

 

Les paysages avaient défilé, les lieux signalés par les riverains l’avaient régalé. Le voyage lui avait coûté peu en monnaie. Néanmoins, ses finances étant réduites et limitées, elle avait eu peur à un moment que sa carte bleue refuse d’être utilisée. Puis elle s’était aperçue que ses parents lui faisaient par moments de petits virements. Alors elle s’était sentie pendant un moment totalement délivrée.

 

Et enfin, elle était arrivée. Et ce vieil adage de tous les chemins mènent à Rome pour elle s’était avéré vrai. Alors elle était là ce matin-là les yeux émerveillés.

La fille avait envie d’y rester. Elle se disait qu’elle se chercherait un petit boulot, le temps de satisfaire ici sa curiosité. Et puis après, un jour, quand elle saurait enfin ce qu’elle attendait de la vie, elle repartirait.

 

Les yeux grands ouverts sur les toits de tuiles qui sous le soleil naissant semblaient chanter, la fille savait au moins enfin qu’elle vivait.

Les mains sur le clavier

 

Les mains sur le clavier

Concours de nouvelles - Tout tenter - ille de Bourbon-l’Archambault

18/03/2020 - Rebecca Rotermund

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La fille se gratte le crâne du bout des ongles. Elle prend un air indécis et concentré tout en faisant aller ses doigts dans ses cheveux comme pour les labourer. De l’extérieur elle a clairement l’air de ramer. Pourtant, en dedans, tout est limpide et son esprit n’est imbibé que de clarté et de volonté.
Assise, sur une chaise inconfortable en bois clair et en acier peinturluré de blanc, elle est en équilibre précaire pour travailler.

Tout chez elle est disparate, c’est un univers d’une taille ridicule à souhait, le moindre objet posé forme aussitôt une impression d’un amas ou d’une accumulation agaçante à la vue, donnant la sensation d’un bordel incongru. Simplement, c’est que de devoir vivre dans un mouchoir de poche crée tout de suite ce sentiment d’étouffement.

Ce studio à la fois ne lui ressemble pas et est pourtant une vraie métaphore de son état. La fille n’habite pas vraiment là par choix. Elle est montée vivre dans cette capitale, projet de vie commun avec son amoureux, pour le travail aussi, mais avant tout pour eux deux. Cette petitesse lui était alors égale et surtout il était question que cet inconfort sans nom ne soit que temporaire, mais l’avenir lui avait donné tort et cette idée qu’il ne s’agissait que d’une passade désagréable avait été à son insu mensongère. Depuis tous ses objets utilitaires, clairsemés sur de laides petites étagères, saluent tous les jours sa galère.

 

La fille en avait eu assez de courir derrière des petits contrats, des périodes de chômages et des périodes non rémunérées, elle avait eu le culot d’avoir envie de stabilité. Elle avait eu envie de croire aussi à ce projet de vie, de monter trouver de la stabilité à Paris.

Travaillant dans la culture, le centre névralgique du pays restant malheureusement la capitale, la fille était partie en y vendant un peu une partie de son âme. C’est qu’elle n’avait à l’époque pas spécialement eu d’attrait pour cette cité, qu’elle imaginait bruyante, vicieuse et polluée, mais elle en avait eu tellement marre de ramer.

Et puis c’était à deux et par amour aussi que cela avait été programmé. Son compagnon était parti temporairement travailler à l’étranger, elle de son côté devait se trouver un premier contrat pour y monter, et prendre, en attendant son retour, un studio et y patienter sagement en allant bosser. Puis au retour du conjoint qui lui manquait, il était question qu’il trouve également un emploi, et avec deux salaires tous les deux auraient pu déménager dans un appart de taille acceptable. Leurs vies étaient prévues pour devenir agréables.

Le but, insidieusement, avait été également pour la fille de ne plus passer son temps à pagayer derrière la précarité, pour que son esprit cesse d’en être pollué, afin qu’elle puisse enfin avoir du temps de cerveau et de l’énergie disponible pour son vrai projet ; écrire tous les jours et devenir auteure et être publiée, et un jour, pourquoi pas, en vivre et ne plus avoir besoin d’un job alimentaire même dans un domaine qu’elle chérissait, mais qui commençait professionnellement un peu à lui donner la nausée. Ses carnets et autres feuilles de papiers, crayons et stylos frétillaient à cette idée, on allait enfin de nouveau, avec un peu plus d’assiduité, les utiliser et les célébrer.

 

Pour mettre sur pied son projet, elle avait quitté un appartement bien plus grand avec un loyer bien plus modéré, avait revendu son électroménager, avait stocké ses meubles et ses effets dans une cave qu’elle espérait saine. Ses affaires moisissaient en silence là-bas depuis bientôt des dizaines de mois, plus d’une année était passée et la situation n’avait pas bougé, alors la fille s’imaginait que si l’on tendait l’oreille dans la pénombre on pouvait entendre ses cartons, ses effets abandonnés et ses meubles pleurer. Mais ils n’étaient pas près d’en sortir, la fille aurait mieux fait de tout revendre et de tout donner. C’était un vrai gâchis de belles choses non utilisées, qui allaient dépérir et finir indubitablement par s’abîmer. Ça n’était pas voulu, ça n’était pas le vécu qu’elle avait prévu.

 

Finalement, la fille avait échoué dans un microscopique studio meublé, un habitat qui n’en avait que l’appellation, avec presque aucun de ses chers objets, de sa bibliothèque et de ses livres sacrés. Dans cet intérieur la fille survivait, même si elle pleurait en dedans d’elle-même et en secret le manque de qualité de vie perdue, le dépaysement, de ne plus vivre dans sa petite ville au charme historique d’antan, et que sa vie qui souvent ne lui semblait plus que n’être qu’un pâle résidu de tout ce qu’elle avait connu. Et tout ça pour s’être finalement cassé les dents sur un beau projet de vie à deux qui s’était écroulé quand l’amoureux avait fait d’autres projets. La vie aimait décidément prendre avec elle des virages et des tournants qui ne lui permettaient jamais d’aller vraiment de l’avant.

 

Le travail prestigieux qu’elle avait eu avait été une horreur qui l’avait laissée psychologiquement amochée, difficile de devoir bosser pour les grands de ce monde qui passaient leur temps à la piétiner à force de caprices et de problème d’ego démesurés. À ce poste-là, on avait l’impression que même les pas de porte et les cheminées en marbres et dorées vous jaugeaient et se gaussaient de votre peu d’importance et du manque de respect permanent qu’il fallait pourtant avaler en continuant de sourire de toutes ses dents.

L’excitation d’être au cœur du pouvoir n’avait pas suffi à lui faire tout accepter, la fille avait un minimum d’amour propre qui l’empêchait d’accepter d’être le paillasson usé où venait se décrotter des pieds hauts gradés qui pensaient que cette fonction lui était naturellement attribuée.

 

Son compagnon finalement avait changé de projet de vie, et il avait eu raison, car il avait droit à sa part de bonheur aussi. Alors ils s’étaient séparés à regret, car il était temps pour chacun d’eux de voguer vers une autre réalité.

C’était maintenant son meilleur ami, ils vivaient loin, mais avaient gardé une forme d’amour et de sympathie. La fille essayait d’accepter la situation, elle faisait semblant, elle disait ouvertement que tout allait parfaitement, mais toutes les nuits une chape de plomb venait la couler tout au fond. Les cauchemars affluaient, les rêves délirants se succédaient, mais au moins elle ne pouvait le nier pour écrire ça l’inspirait.

Elle ne lâchait donc pas le morceau et elle avait bien l’intention de réussir à écrire et vivre de ses mots. Elle s’était raccrochée à son grand projet, qui ne dépendait que d’elle-même et de personne d’autre, devenir auteure, donner un sens à sa vie. Pendant un temps elle avait oublié qu’il fallait pourtant le bon vouloir d’autrui pour être éditée et réaliser son envie.

 

Dans sa petite suite de malheurs elle avait tout de même fini par décrocher un contrat de longue durée à un poste qui n’était pas désagréable, ce qui pour elle était comme posséder une des clés de la réussite, pouvant réaliser, à présent, son besoin de coucher sur le papier des mots qui filaient hors de sa tête et toujours un peu trop vite. Elle avait gagné, elle avait enfin de la stabilité, du temps de réflexion et la possibilité d’écrire tous les jours, ou presque, et de se jeter de plain-pied dans son vrai projet.

 

Le seul hic restait l’appartement, trop petit et tellement cher qu’accepter de payer ce loyer était dégradant, et sa qualité de vie qui s’était amoindrie. Et surtout, comme elle n’osait pas se l’avouer, le fait aussi que son cœur l’avait quittée et ne revenait la nuit que pour la martyriser.

 

Néanmoins, la fille n’avait pas cédé et avait enfin pu finir son premier roman, qu’elle avait entamé depuis plus de cinq ans. Mais elle n’avait pas réussi à le faire éditer. Ne pas avoir de contact dans le domaine ne l’avait certainement pas aidé, et le sujet licencieux qu’elle avait choisi d’y aborder y avait peut-être ou non contribué. Elle avait tout de même réussi à ne pas se démotiver, ne voulant pas lâcher devant la première difficulté, aussi elle continuait. Pour cela, elle noircissait des pages, ou elle faisait pianoter ses doigts sur le clavier de son pc en claquant dessus ses petits ongles peinturlurés.

Aussitôt après avoir fini son premier roman et sa correction qui lui avait pris du temps, elle avait attaqué son deuxième, elle avait même déjà dans sa caboche le troisième. Les réponses négatives des maisons d’édition, qui s’étaient succédé pendant plusieurs mois, ne lui avaient pas enlevé la vigueur dans son envie d’écriture, elle était prête à continuer quitte à en baver dur.

Et puis lui était venue l’idée de participer à des concours d’écritures et des appels à projets. Cela lui faisait de l’exercice et, elle l’espérait, la ferait progresser, un jour peut-être aurait-elle un retour, ou un mot d’encouragement, ou un conseil à prendre pour aller encore de l’avant.

La fille gardait une goutte d’espoir qu’elle écoulait lentement du bout de son stylo sur un vieux papier. Tous les jours, depuis de longs mois, c’était devenu plus qu’un rituel pour elle, un vrai état. Elle se posait là, sur ses meubles qu’elle n’avait pas choisis, qui n’était pas confortables, oubliait le quotidien navrant, pourtant souvent rempli de petites joies, plus rien ne se mettait entre elle et son besoin de faire sortir et d’agencer ses petites phrases et ses grands récits qu’elle voulait partager.

Respirer

 

Respirer

Concours de nouvelles - Depuis plusieurs jours, la plage était déserte. - Revue Quinzaine

20/03/2020- Rebecca Rotermund

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Depuis plusieurs jours, la plage était déserte. Et pour tout vous dire ça lui faisait bien plaisir. Elle était vide, mais uniquement d’humains, le reste du vivant de son environnement était bien présent. Ça pullulait à terre et dans l’océan, et même, la plage se le disait, finalement, c’était plus peuplé qu’avant.

Ça grouillait ici-bas, dans l’eau, la terre ferme et le ciel au-delà. Entre les grains de sable se croisaient et se saluaient des quantités de crustacés, on se montrait, on faisait admirer sa carapace, c’était un vrai ballet, sans le stress de se faire ramasser ni écraser, un petit concours de vacuité et de beauté.

Les petits poissons tranquilles nageaient, et de plus en plus se rapprochaient de la grève et la recolonisaient, plus d’embarrassants bambins qui les auraient agacés à essayer toujours vainement de les attraper. Idem pour les oiseaux, qui sur l’eau pouvait barboter et dans le sable traînasser, pas de méchants coups de pied ou de menottes à redouter.

Alors, passé la première journée où les mille et un habitants de la plage s’étaient méfiés en restant un peu cachés, un peu en sécurité, utilisant encore leurs diverses techniques mises au point depuis des générations pour ne pas succomber bêtement et inutilement, tous avaient commencé à sentir la pression se relâcher.

Personne ne s’était soucié de savoir où les humains étaient passés et ce qu’ils faisaient. On s’en moquait. Le premier jour, on s’en était étonné, et puis les heures avaient filé et on était assez bien pour ne plus y songer.

Néanmoins, les oiseaux marins, qui de très hauts en planant pouvaient scruter les alentours et le lointain, avaient continué pendant quelques jours à faire le guet, et passé une semaine entière sans apercevoir d’âmes humaines ils avaient eux aussi laissé tomber. Les humains n’étaient plus là et ça suffisait pour un peu de joie.

Cependant on trouvait encore pleins de vilaines traces de leurs existences, car cette étrange race d’animaux qui avaient eu toujours beaucoup trop d’estime de soi et le verbe haut, avait aussi eu la sale habitude de laisser traîner leurs saletés, qui allaient du papier gras aux mégots de cigarettes égarés en passant par toutes sortes de plastiques ou de matières qui mettraient des siècles à se dégrader.

Tous les petits habitants du coin c’étaient alors fait un plaisir de réparer, chacun à sa mesure, de nettoyer, et voilà les petits poissons en banc pour transporter au bord de l’eau les saletés, les crabes prenant la relève pour commencer à les hisser, les terrestres et les oiseaux finissant de les regrouper près des poubelles que ces idiots d’humains une fois sur deux semblaient oublier d’utiliser.

Les grains de sable nettoyés en avaient couiné et crissé de plaisir pour les remercier, les fonds marins en bordure de la plage en pleine extase de retrouver leur propreté en avaient soupirés d’aise. La nature, trop longtemps souillée et bafouée, recommençait à avoir de l’espoir et à respirer.

Seuls leur manquaient là-bas, au fond sur la digue et ses rochers, le couple de vieilles personnes qui tous les jours venaient s’y percher pendant des heures, après avoir longuement marché précautionneusement, pas après pas, pour ne pas chuter. Les énormes galets et les plus petits avaient toujours joué le jeu de ne pas entraver et faire tomber ce couple d’éternels amoureux.

En bref, depuis plusieurs jours, la plage était déserte, mais elle grouillait sainement de vies et elle en était ravie.

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Bruissements

 

Bruissements

Concours de nouvelles - Imaginer une histoire dans les Landes à partir de la photo jointe dans le règlement en ligne - Ville d'Hossegor

23/03/2020- Rebecca Rotermund

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Le livre avait été doucement reposé, ni tout à fait ouvert ni tout à fait fermé. Il n’en était pas chagriné, lui aussi profitait de ce petit soleil délicat qui annonçait une belle matinée d’été. La fille l’avait posé là, sur la pierre, à cheval sur un autre livre, sur le tome deux qui achèverait l’histoire qui commençait en lui, lui qui était le volume premier.

Les deux livres somnolaient, assurés d’être lu rapidement par leur nouvelle propriétaire, qui semblait être une lectrice assidue et les avait repérés puis achetés chez un bouquiniste, où ils étaient là attendre sagement dans les rayonnages et à s’embêter. Il faut dire qu’ils faisaient partie des classiques dont la lecture n’était pas forcément d’un accès facile, un peu passés de mode aussi, malgré toutes leurs qualités.

Imaginez alors leur joie quand la fille d’une main sûre et experte les avait saisis, les sortant de leurs étagères, les feuilletant brièvement et puis aussitôt les choisissant eux et les payant. Les deux volumes en avaient gloussé de plaisir, mais peu après une inquiétude les avaient pris. Et si on ne les avait choisis que pour leur bel aspect ancien qui ferait joli en décoration dans un meuble où on les exhiberait sans jamais les ouvrir, les lire et relire ou les feuilleter. Et s’ils n’avaient été acquis que pour être mieux délaissés ?

C’est qu’ils savaient de source sûre que cela arrivait, ils avaient réussi eux à avoir une première vie, et puis maintenant peut-être une seconde après de longues années d’oubli. Alors ils n’allaient pas renoncer facilement à revivre. Ils refusaient l’idée d’être de nouveau là pour rien à s’empoussiérer, non, eux ils voulaient faire voyager, réfléchir et rêver.

 

La fille avait été ravie de sa découverte et de son acquisition. Elle avait emménagé depuis peu de temps dans un coin des Landes, un lieu de paix, enfin qui lui avait semblé paisible, un endroit où se retrouver avec sa vieille amie perdue, la quiétude, ce qui était son but.

À peine les cartons déposés, à peine après avoir pris le temps de mettre au bon endroit ses quelques maigres effets, la fille avait cherché en ligne où trouver de quoi se ravitailler. C’est-à-dire effectivement de quoi se nourrir, mais encore plus de quoi alimenter son esprit bien affûté. Elle avait pianoté le mot bouquiniste sur un moteur de recherche et elle avait trouvé où aller.

Aussi dès le second jour, pas le premier, parce qu’elle avait dormi comme une souche malgré le son du loir au plafond, vivant dans le grenier, qui avait été dérangé par sa présence, mais qui ne s’était pas résolu à ne pas mener à bien ses activités et qui finirait par accepter cette nouvelle présence chez lui, sans pour autant que personne ne l’ait consulté à ce sujet, elle était partie avec son vélo et son sac à dos chercher de quoi festoyer.

La bicyclette en avait grincé de plaisir comme pour la saluer de bien vouloir l’utiliser, elle qui avait été mise de côté pendant des années. Alors bien que rouillée et nécessitant, par son état, de nombreux soins, car elle aurait sacrément eu besoin d’être réparée, elle avait décidé d’assurer, espérant ainsi que de nouveau on la choirait et qu’on aurait envie de rouler de longues heures avec elle.

La fille avait fait le tour des boutiques d’alimentaires des producteurs du coin, puis celui du marché pour bourrer son sac et le panier de son vélo de spécialités qu’elle espérait savoureuses au palais, et elle avait fini son tour chez le bouquiniste ou, au vu de ses goûts sûrs, elle n’avait pas vraiment eut à chercher. Elle avait enfourché son vélo avec la volonté de rentrer chez elle et de savourer les heures qui allaient couler, dans l’idée de passer son temps à lire, cuisiner, dormir et pour l’exercice aller pédaler.

Aussitôt rentrée elle avait rangé ses paquets, mis ce qu’il fallait au frais, puis avait débouché une bouteille de vin et sous la tonnelle s’était attablée avec fortes charcuteries, car elle avait dépassé largement l’heure de préparer un vrai déjeuner, et avait attrapé le premier volume des livres chinés.

Pour continuer sa journée en beauté, la fille s’était mis en petite culotte dans le jardin perdu de sa propriété et avait mi-somnolée mi-bouquiné, sur des coussins mis en tas sous un arbre, qui du haut de son grand âge et de ses feuillages en avait vu passer des filles plus ou moins dénudées dans cette vieille propriété. Il lui avait fourni une ombre apaisante, empêchant la fille de griller ou d’avoir un mal de tête carabiné à la fin de la journée. Et fille après chaque pause de rêverie éveillée ou d’endormissement réel, avait à chaque fois repris son livre et continué à laisser son esprit y vagabonder.

C’est là que les livres avaient su qu’ils seraient religieusement lus et relus.

 

Les journées suivantes s’étaient toutes plus ou moins déroulées de la sorte, la fille lisait, se sustentait, partait se promener et recommençait. Et puis un beau matin, elle les avait sortis dans le jardin et les avait laissés là comme oubliés. Pas de rituel du petit-déjeuner, pas de café longuement dégusté sur la table en fer blanc qui légèrement boitait, déséquilibré par un caillou sous ses pieds.

Elle avait posé son café et puis finalement pris les livres, pour les mettre sur cette pierre, et était partie hors de leur portée. Au début, les livres avaient été interloqués, mais pas paniqués. Seule la tasse remplie d’un liquide brun, d’abord brûlant, puis de plus en plus froid, avait couiné et protesté.

Ça allait être du gâchis, on l’avait délaissée remplie et son contenu maintenant froid semblait sans vie. L’arbre voyant sa tristesse et sa mélancolie avait décidé de lui céder quelques feuilles pour lui tenir compagnie, et une petite brise les avait fait descendre doucement et rejoindre le contenant de faïence qui se sentait maintenant totalement insécurisé.

Les heures s’étaient envolées, de plus en plus lentement au fur et à mesure du temps passant. La fille ne revenait pas, et les objets restaient plantés là. Le ciel, la lumière et le soleil avaient bien essayé de les distraire de tout ce stress et de toute cette contrariété en faisant jouer gracieusement les ombres sur les murs et le sol de la propriété, mais rien n’y faisait, on se demandait ce qui se passait. Même le loir dans le grenier était peiné de cette disparation et de cette nouvelle présence agréable déjà avortée.

La journée avait décliné et rien ne changeait, la fille n’était pas rentrée. La nuit avait passé, les livres dans l’air humide avaient frissonné autant de peur que du fait de l’humidité. Le petit matin s’était amorcé avec un lever de soleil de toute beauté, mais elle n’était toujours pas là pour les rassurer. Alors tout, si l’on avait pu tendre l’oreille, avait commencé d’angoisse à pleurnicher.

 Le grand arbre qui avait déjà pris l’habitude d’être le refuge ombrageux de la nouvelle locataire avait décidé de s’en mêler, il avait laissé filer au vent certaines de ses feuilles et accepté de les sacrifier pour les envoyer en message aux autres arbres qu’elles croiseraient. Ainsi peut-être arriveraient-ils tous à savoir où elle était passée. Les fleurs, les brins d’herbe et les arbrisseaux des haies qui cloisonnaient la maisonnée, eux aussi avaient lancé des appels à leurs semblables pour passer le mot, pour savoir où diable est-ce que la fille avait décidé de se cacher. Dans la lande partout maintenant le message bruissait.

 

 Et c’est à ce moment-là que la fille avait réapparu, insouciante du bazar qu’elle avait créé, sans le savoir, par son départ. Elle s’était simplement promenée, avait laissé ses pas dériver toujours plus loin, et avait dormi à la belle étoile sur une plage où le sable l’avait invité. Elle avait savouré sa journée de marche et sa nuit de repos au bord des flots.

Quand elle fut rentrée dans son jardin tous avaient d’abord été soulagés, puis, de la voir rayonnante et inconséquente, ils avaient décidé d’un commun accord de la bouder. Le livre ouvert pour la peine avait décidé de changer la page où elle l’avait abandonné, avançant le récit pour la punir de l’avoir laissé. La tasse avait roulé exprès pour renverser le café. Le loir était sorti labourer le sol de ses petites griffes acérées.

La fille avait épousseté et nettoyé la table et la tasse, avait déposé quelques morceaux de fruits à un endroit, bien en évidence, où elle savait que la petite bête, qu’elle entendait tous les soirs trottiner sur le plancher, verrait. Elle avait amoureusement saisi le livre, et l’avait rouvert du premier coup à la bonne page parce qu’elle savait parfaitement où elle en était.

Et c’est ainsi que tout avait été pardonné.

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L'amoureuse

 

L’amoureuse

Concours de nouvelles - « Bref » 2020 — Bref, à table ! - Bibliothèque du Haillan

29/03/2020- Rebecca Rotermund

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Ça trépigne dans l’évier, voilà la vaisselle qui mousse, valse et qui couine. La fille frotte, rince et fait briller, voilà des tasses, verres, assiettes et couverts satisfaits d’être rutilants à souhait.

Elle se dépêche, elle a encore tout à préparer, les petits plats à mettre dans les grands, des choses à enfourner, faire dorer.

 

C’est la course dans le frigo et dans les placards, les aliments, les condiments qui en ont assez d’attendre sagement essayent tous de se faire remarquer pour être utilisés. C’est que la fille en général ne cuisine jamais. Elle a l’habitude de manger des crudités assaisonnées d’huiles diverses et variées avec un peu de sel et de boire des litres de thés. Deux fois par semaine, elle sort faire de vrais repas quand elle va manger chez des amis avec force appétit.

 

Alors quand ce jour on a vu dans la cuisine qu’elle ramenait de nouvelles victuailles, qu’elle sortait les plats, ça a fait un vrai branle-bas de combat. Voilà tous les ustensiles et les comestibles à hurler moi moi moi ! Mais forcément la fille ne le voit pas.

 

Elle sort ses recettes, prépare, se démène, mais, avec son peu d’habitude, n’est pas au bout de ses peines. Elle fait valser, dans ses doigts énamourés, tous les objets qu’il lui faut pour tout préparer. Puis, une fois tout prêt, elle court dans sa salle de bain se faire une beauté.

 

L’accueil n’est pas le même là-bas, on y soupire à tour de bras. La voilà encore occupée, cette tête de linotte, à se faire une beauté pour un garçon qui, comme tous les autres, ne va probablement pas savoir l’apprécier ni vraiment la mériter. La trousse de toilette et les produits de beauté freinent des quatre fers pour lui casser les pieds. C’est qu’ils en ont assez de la récupérer quelques jours plus tard toujours pleurant sur le décevant amour à peine naissant.

 

Quoiqu’il en soit, ça sonne ! L’invité est arrivé. À table s’il vous plaît !

Navette

 

Navette

Concours de nouvelles - Prix Alain Le Bussy 

30/03/2020 - Rebecca Rotermund

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La fille ferme les yeux, elle a avalé ses perles de cafés dont les bienfaits antimigraineux devraient ne pas tarder à agir et aider à l’apaiser. Mais rien n’y fait, la substance se moque clairement d’elle et refuse de faire son effet. Elle ouvre ses paupières et regarde par le hublot le vide du paysage qui défile sous ses yeux. La terre, derrière elle, qui la salue au passage, irradiant de paix et de beauté, ce qui est assez faux il est vrai, mais qui a l’air paisible, là, comme pour juste lui donner un peu de vague à l’âme et l’envie d’y retourner.

La fille en est toute troublée, pourtant elle sait bien qu’elle y retournera, mais seulement dans quelques années. Elle devrait se concentrer sur sa mission, mais cela lui est impossible, son œil est attiré par cette boule bleutée. La planète en est flattée.

Pourtant elle a du pain sur la planche, et puis elle devrait vraiment réfléchir à son arrivée, parce qu’on l’attend là-bas, et qu’elle n’a pas intérêt à décevoir, elle devrait plutôt faire ses preuves et filer au pas. Après tout, c’est vrai que peu ont la chance d’être invités sur la base lunaire pour y être formés auprès des plus hauts dignitaires de ce monde qu’on arrive, depuis seulement un siècle, enfin à redresser.

Alors quand elle a su que pour finir son cycle d’études elle avait été remarquée et qu’on l’y avait conviée, voir sommée de bien vouloir y aller, elle avait été autant flattée que terrorisée. Elle allait apprendre au prêt des plus grands et les servir plus tard en revenant, le tout pour le bien de l’humanité, qui si elle n’était pas fermement cadrée s’entre-dévorait.

La fille avait d’abord fait des études d’histoires, avec de nombreuses options dont elle s’était surchargée, sémiologie, ethnologie, études des arts, sociologie, et un peu de politique aussi. Ça faisait maintenant des années qu’elle ne vivait plus que le nez collé à un écran à lire et étudier.

Elle avait ainsi était repérée, une personne studieuse qui semblait dévouée, qui avait l’air elle-même de s’oublier et qui n’avait pas d’autres centres d’intérêt que de savoir toujours plus et mieux dans une volonté de comprendre l’humanité dans sa complexité.

La fille ne passait pas pour une ambitieuse uniquement préoccupée d’engranger du savoir pour comprendre son monde et s’en servir pour sa propre réussite. Et c’était ce que l’on attendait maintenant des dirigeants, aucun intérêt personnel à servir, rien qui ne fasse que le monde puisse ensuite pâtir d’ambitions nombrilistes.

 

On ne votait plus et on n’élisait plus les dirigeants, on n’écoutait plus de discours faux, avec des personnages publics prêts à dire n’importe quoi pour gravir les marches du pouvoir, le temps de ce qui avait été appelé autrefois démocratie et l’utilisation de son système de baratin et de vote avaient péri.

Il n’était d’ailleurs plus question pour les grands de ce monde et les dirigeants de profits ou d’argent, on avait laissé ça aux siècles anciens et à leurs mondes dégradants. On était au service de l’humanité, de ce qui en restait, on n’avait aucun privilège à diriger. C’était un choix, un sacerdoce, il n’y avait plus ni rémunération aberrante, ni luxe, ni prestige à y gagner, seulement un labeur incessant et un don de soi sans cesse renouvelé, avec pour seul salaire la satisfaction d’aider le monde à tourner juste et rond.

 

Le troisième conflit mondial et le quatrième avaient eu pour résultat cette idée de tout réformer. Le peu de population encore en vie qui restait avait aidé, l’humanité quasi décimée avait été plus simple à réorganiser. Déjà, à partir du XXe siècle, la planète avait tiré la sonnette d’alarme et avait cédé, elle avait ravagé les populations qui se débattaient dans des sociétés majoritairement tissues de mauvaisetés.

Surexploitée, la terre avait cessé de produire toujours plus et pourtant jamais assez, abîmée par les humains, elle s’était rebellée, les catastrophes climatiques et les épidémies avaient fini de saccager un monde décadent qui n’en avait que pour les possessions matérielles et par conséquent pour l’inutile et l’argent.

Les êtres humains étaient devenus trop nombreux et trop gourmands, s’étaient créés des besoins en réalité inexistants, tous, ou presque, tour à tour se piétinaient pour essayer d’avoir leur part du gâteau, et cela avait été de trop.

Alors quand la nature les avait attaqués et que les pouvoirs en place un peu partout s’étaient effondrés, les personnes restantes avaient tout changé. Les femmes, depuis des siècles, presque partout en permanence rabaissées ou humiliées, s’étaient relevées et réveillées en premier.

Ça avait été l’occasion pour elles non pas de demander poliment l’égalité, ce qu’elle avait fait dans le vent et en vain depuis des décennies les siècles passés, mais de prendre le pouvoir afin, une bonne fois pour toutes, de s’affirmer.

Elles avaient mis sur le dos du patriarcat, ce qui n’était pas faux, tous les problèmes qui avaient mené presque toute l’humanité à sa perte, et ainsi elle avait fait table rase de leur statut d’opprimées, et le matriarcat avait resplendi pour un temps donné.

 

L’expérience avait été assez concluante, une paix nouvelle avait été imposée, on faisait en sorte de retrouver une planète saine, pour que celle-ci cesse de les faire expier. Mais une sourde rancœur était restée plantée dans les cœurs des deux côtés des deux sexes principaux de l’humanité.

Les femmes d’alors avaient une rage ancienne à contenir pour ne pas la déverser, un pouvoir instable à garder, une méfiance sans borne devant les hommes qu’elles savaient humiliés et prêts à tout pour restaurer leur pouvoir et potentiellement recommencer à les considérer comme des êtres de seconde zone qui ne méritaient pas d’être écoutés et pleinement considérés.

Les hommes d’alors n’avaient pour la plupart jamais digéré cette perte de pouvoir et de grandeur qu’on leur avait arrachée. Ceux à l’esprit étroit, issu de l’ancienne société, n’arrivaient pas à l’accepter, quant aux autres hommes qui eux n’avaient jamais considérés les femmes comme leur inférieures, mais bien comme des alliées et qui avaient milité pour elles, la pilule était dure à avaler. Ils avaient cru se battre à leur côté au nom d’une égalité et à la place ils avaient été utilisés puis remerciés. À la guerre comme à la guerre les femmes de cette époque avaient voulu s’assurer de ne plus jamais risquer d’être de nouveau rabaissées.

Les lois avaient été de plus en en plus dures et ils s’étaient cloisonnés chacun de plus en plus de leur côté. Grâce à la science une forme de dérive était née, on avait décidé de se reproduire sans que l’acte sexuel ne soit plus obligé, on contrôlait les naissances et les fœtus, selon leurs sexes, étaient ou non avortés. On gardait juste assez de mâles pour continuer à la race humaine d’exister. Certains hommes, suite à des rébellions ouvertes, finissaient leurs vies parqués, et d’autres avaient des rôles purement décoratifs de maris ou d’outillage qu’on ne maltraitait pas, mais que l’on supervisait.

On avait créé une base militaire de redressements pour les mâles qui s’entêtaient dans leurs rôles de dominants. Et puis en voyant que rien ne semblait les faire changer, on se contentait de les envoyer là-bas et de les y oublier. Ainsi les femmes pensaient qu’ils polluaient la lune de leurs ego démesurés, mais qu’ils ne détruisaient plus la Terre en la salissant sous leurs anciennes idées.

Le point positif était que cette paix factice avait permis de se préoccuper du redressement du monde dans la bienveillance et la biodiversité terrestre, en respectant l’environnement et la planète pour essayer de la faire renaître, et tant pis si de nouveau on excluait une partie de l’humanité. Les femmes, ironiquement, avaient fini par imiter les hommes opprimants du passé.

Mais l’effet positif devant cette nouvelle disparité n’allait pas durer. Les hommes, devant ce changement, finiraient par fomenter des complots et par provoquer des attentats pour prouver que les femmes ne savaient pas diriger.

Et c’est comme cela qu’ils avaient dans leur folie fini par suivre un gourou qui avait préféré l’idée de tuer et sacrifier de nouveau l’écosystème pour dénoncer l’inefficacité des femmes au pouvoir, et que ses disciples y étaient arrivés à coup d’armes bactériologiques et polluantes. Décidément, les êtres humains de ces siècles passés semblaient avoir gardé en eux cette passion pour le pouvoir et cette forme de folie galopante qui n’existait plus désormais.

Ça avait été de nouveau la fin d’un cycle et le début d’un quatrième conflit mondial, mais celui-là n’avait pas été déclenché pour des questions de ressources ou pour sauver la planète, mais seulement pour une guerre des sexes stupide et bête qui finalement ne s’était jamais réellement arrêtée.

 

La fille savait tout cela et ça la faisait sourire, comment avait-on pu se battre en fonction de si l’on était pourvu ou non sexuellement d’un attribut. Comment avait-on préféré de nouveau risquer l’extinction et tout sacrifier pour une question de tétons et de poitrine ou non lactée ?

La fille en était toujours sidérée, mais dans sa soif d’apprendre, et surtout de comprendre, elle avait avalé les siècles et les millénaires d’histoires et de civilisations pour essayer de s’imprégner et de ne pas juger, mais plutôt de comprendre l’évolution et pourquoi il fallait cesser de répéter toujours des erreurs qui finissaient par tous les menacer. Elle essayait de comprendre le passé sans mal le considérer.

Actuellement, il n’y était plus question de sexe ou de genre, mais de désir et de capacité. On essayait de faire renaître, encore une fois, la planète, on lui était dévoué, et le bien-être et la place de tout un chacun n’étaient plus liés au sexe avec lequel on était né. De toute façon ici il n’y avait plus de rôles sexués et surtout, si dame nature s’était trompée, on vous permettait de changer pour coller à l’image que de vous-même vous aviez.

C’est qu’à la fin de ce énième conflit, ceux qui avaient pris les commandes avaient été avant tout pour la paix, et surtout il s’agissait de ces personnes qui depuis toujours avaient été mal vues et mal aimées, montrées du doigt et encore plus moquées que les femmes ne l’avaient été. Les siècles de patriarcat les avaient toujours maltraités, mais les siècles de matriarcat n’avaient pas réussi non plus pour eux à tout arranger.

On s’était méfiés de ces êtres qui voulaient changer de sexe, car mal nés, ou de ceux qui étaient nés avec les deux ; à l’aire précédente, les femmes voyaient dans les femmes voulant devenir des hommes des détraqués, les hommes voulant devenir des femmes des arrivistes qui voulaient peut-être après les attenter. Les hommes n’étaient pas en reste de ce type de sales idées de leur côté. Et pour les humains nés pourvus des deux sexes, les hommes comme les femmes étaient pour une fois d’accord, cela ne devait pas exister. Des millénaires de préjugés, dans un sens ou dans l’autre, que l’on avait maintenant à annihiler.

D’ailleurs, à présent, il n’était plus vraiment question d’hommes ou de femmes, le sexe de naissance n’avait plus vraiment d’importance, et ce n’était plus qu’une petite pièce de votre identité. Et vous pouviez à présent ouvertement en changer. Cela avait été possible avec la venue au pouvoir des hermaphrodites et transgenres quand la nouvelle ère de l’humanité avait commencé. Ils s’étaient engouffrés dans la brèche, comme les femmes lors du conflit précédent, pour pouvoir librement exister et cesser de devoir se revendiquer.

Des siècles d’oppression auraient pu les mener, comme les femmes, à se méfier, à détester et vouloir au fond, sans se le dire, se venger. Mais il n’en était rien, simplement on avait décidé avant tout que tous n’étaient que des humains. Le sexe venait après très loin. Le genre de naissance n’était plus un critère pour rien.

Le conseil terrestre, anciennement conseil des nations, avait changé de nom, car on était maintenant une nation unique, ainsi l’idée de race avait été gommée, pour celle de sexe et de genre on s’y était employé. Les rôles de dignitaires avaient d’abord été tenus exclusivement par des hermaphrodites qui ne souhaitaient n’être ni des hommes ni des femmes, mais rester le mélange complexe des deux, revendiquant leur propre identité qui n’avait avant jamais été tolérée. Ainsi l’on s’était dit qu’on ne serait plus tenté de privilégier les hommes ou les femmes, et qu’on pourrait espérer faire cesser cette haine rentrée qui ne cessait de ressortir et de tout poisser.

Et puis, les décennies passant, on avait inclus d’abord en nombre minoritaire des représentants de tous les sexes et de tous les genres. Et l’éducation des populations ayant progressé à ce sujet, l’évolution des mentalités avait permis de contrecarrer toutes ces sourdes rancœurs qui avaient fini par s’évaporer. On s’était rendu compte que l’on pouvait maintenant arriver à une réelle mixité et à une parité. Bien sûr, pour être honnête on continuait à tout surveiller de très près.

 

C’est comme cela qu’on avait commencé à repérer, pour les former, parmi les jeunes des nouvelles générations, des êtres d’exceptions dont la volonté était l’entraide et le bonheur et non plus des profils de malade du pouvoir à tout prix et des vils profiteurs. Et c’est pour cela que la fille était là dans la navette lune-terre qui lui permettait de rejoindre la Très Haute Ecole de Conscience des futurs dirigeants que l’on avait montée en utilisant les anciennes prisons lunaires qui avaient été désaffectées.

Là-bas nulle distraction, pas de luxe, uniquement le confort identique à celui que l’on essayait de fournir à n’importe quel autre terrien. Pas de traitement spécial, pas de chouchoutage, pas de salaire luxuriant comme avantage. On avait eu à cœur de gommer les disparités, en particulier celles honteuses des anciens chefs d’entreprises ou des dirigeants au détriment de leurs salariés ou de leurs sujets, ceux que l’on appelait citoyens, mais qui n’avaient été que des outils et des esclaves obéissants et asservis.

Ne vous attendez donc là-haut que des années de formation d’un mode très ascétique, certes dans la quiétude, mais qui vous montrez bien qu’il n’y avait aucun profit personnel à tirer si vous choisissiez de continuer et un jour d’exercer. Et aussi de nombreux tests, pour révéler au grand jour votre personnalité, et être sûrs que vous ne faisiez pas partie de ces obsédés du pouvoir qui restaient, malgré tout, pour certains, un Saint-Graal, accrochés à ce besoin d’avoir.

De nombreux stages étaient par la suite prévus avec retour sur Terre, on vous ferait tester un panel des différents modes de vies des humains qui restaient, pour que vous sachiez de quoi vous parleriez quand vous aborderez plus tard un sujet politique, écologique ou social, avec un problème à régler.

La fille en était ravie et elle souriait. Elle avait un peu d’appréhension cependant, car elle n’avait vécu pour le moment qu’avec des théories, elle s’était très peu frottée aux gens et à la vie. Comprendre partager savoir et connaître la réalité du terrain pour servir, le mantra de tous dignitaires collait à ce qu’elle voulait faire. Mais il lui faudrait passer par de longs mois sur de longues années, en allant vivre dans la réalité des autres, pour chercher à chaque fois pour tous une solution bienfaisante qui collerait à la vraie réalité. Pour ça, la fille était un peu angoissée.

 

Néanmoins, la navette avait filé, et la fille savait maintenant qu’en posant le pied sur cette surface qu’elle n’avait pas encore foulée, qu’elle ne pourrait qu’être reconnaissante et fière de faire son maximum pour devenir une dignitaire respectable et donc respectée, et qu’entant que femme elle devrait apprendre à défendre son sexe dans les populations qui feraient appel à elle pour trouver des solutions, mais sans jamais en abuser, pas plus qu’en tant que dirigeante elle ne devrait jamais sur aucun sujet être tentée un jour d’en profiter.

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Dimanche

 

Dimanche

Appel à textes - « étonnante(s) rencontre(s) » - Culture et bibliothèque pour tous Paris

08/04/2020 - Rebecca Rotermund

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La fille avait sursauté, elle était en retard et n’aimait pas les mauvaises surprises, mais ce matin tout était parti en vrille. Tout avait manifestement décidé de la freiner, du petit déjeuner à la douche bouchée, une vraie escadrille, tout pour l’agacer.

 

Son réveil narquois n’avait pas daigné sonner, elle s’était donc réveillée en retard et avait du se dépêcher de se préparer. Elle avait foncé sous la douche qui avait glouglouté pour finir par se boucher pour la narguer.

Son tube de dentifrice avait mi-explosé mi-vomi dans le lavabo et surtout pas sur la brosse à dents, impossible après de remettre la main sur ses fringues, elle ne trouvait plus son foutu caraco. Elle l’avait pourtant préparé hier, mais rien à faire, un vrai mystère.

Son café avait également décidé de saigner sur la table et le tapis, pour la remercier d’avoir été trop pressée pour le déguster. Aussi elle était sortie de chez elle à fond de cale et agacée, mal lunée, prête à en découdre avec le premier qui aurait décidé d’en rajouter. Là vraiment il n’allait pas falloir la chercher.

 

Mal fagotée, sur la face la trace des draps et des oreillers, du rouge à lèvres sur les dents, mais ça elle ne s’en apercevrait qu’après, elle avait foncé droit sur le bouton de l’ascenseur pour le solliciter. Celui-ci n’avait pas réagi, elle avait commencé à pester.

Elle habitait au quatorzième étage d’un immeuble, elle n’avait aucune envie de se coltiner les quatorze étages et paliers. Énervée, elle avait appuyé encore et encore, mais la mécanique avait décidé elle aussi de ne pas être raccord et de ne pas céder.

Rien à faire, le bouton délétère restait inutile, refusant de faire son office, il allait falloir qu’elle dévale tous les étages à la va-vite, sans se casser la binette, et à force de devoir tourner dans les escaliers, il lui faudrait en sus essayer de ne pas avoir la tête qui tourne pour ne finir par vomir. Cette journée ne s’annonçait vraiment pas des plus chouettes. Elle s’était ainsi retrouvée à tourner, tourner, tourner, de palier en palier.

 

D’une humeur de chien, elle était enfin arrivée au rez-de-chaussée, mais voilà qu’une idiote lui barrait le passage et refusait de s’écarter. Elle était essoufflée, elle avait sué, ça suffisait, pas la peine qu’un être humain vienne en rajouter.

Alors, la fille, quelques mètres avant le désastre, s’était arrêtée, attendant que la greluche, là, en face, mal habillée, daigne bouger ses fesses et libère l’entrée. Mais l’autre aussi s’était arrêté pour la scruter, ne faisant pas mine de se bouger.

La fille du bout des lèvres lui avait lancé un bonjour qui était comme un boulet de canon faisant office de sommation, une manière presque polie de dire pousses-toi, tire-toi et merci. L’autre en face n’avait même pas réagi, et lui avait affiché un long silence pour lui dire son mépris.

La fille était déjà suffisamment en dent de scie, elle avait maugréé et attendu encore quelques secondes, avant de se dire qu’elle allait lui foncer dessus, là sur l’autre Frénégonde, qu’est-ce que c’était que cette morue qui pétait plus haut que son cul, elle allait lui rentrer dedans et lui écraser les pieds, ça les lui ferait pour se taper les étages à monter, vu que l’ascenseur ce jour maudit refusait de coopérer.

 

Alors ni une ni deux, elle avait pris son élan et avait foncé, s’étalant en passant le visage et se fracassant le nez sur la glace qui était son interlocutrice en réalité. La fille ne s’y était pas préparée. Elle arrivait normalement par l’ascenseur et ne prenait pas l’escalier, alors sous un angle différent et en ayant oublié ses lentilles tant elle était pressée, elle ne s’était pas calculée en reflet malpoli dans cette glace, sur la porte d’entrée au verre dépoli.

La fille sous le choc avait d’abord eu un fou rire puis avait pleuré, même son propre reflet lui voulait du mal en cette sale journée.

Ni une ni deux, elle en avait eu assez et avait décidé de se refarcir dans l’autre sens les quatorze étages et les trop nombreux escaliers, de monter soigner son nez et de retourner se coucher. Le travail et la vie attendraient, elle avait été assez maltraitée, et à ce rythme là elle ne tiendrait pas vivante l’entièreté de la journée.

 

Arrivée en haut, une fois déshabillée et glissée dans ses draps froids qui redeviendraient vite chaud, elle avait décidé de mettre sur silencieux son téléphone portable, et en le prenant dans ses mains pour clore par un sommeil sans dérangement possible cette journée insupportable, elle avait vu le jour qui y était affiché : on était dimanche, c’était pour cela que le réveil n’avait pas sonné.

Cheveux bruns, nuque blanche sur draps vert céladon

 

Cheveux bruns, nuque blanche sur draps vert céladon

Appel à textes - Une chambre à soi - Gaze magazine

12/04/2020 - Rebecca Rotermund

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Le rai de lumière me réveille me perçant les yeux. Les lamelles de mes volets intérieurs n’arriveront donc jamais à cautériser la brûlure du soleil qui s’infiltre par leurs biais.

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Heureux sont ces matins où la clarté me lève de ma torpeur, toujours moi la première, pour pouvoir profiter lâchement, mais tendrement dans son sommeil de la beauté de ma compagne qui n’en est pas importunée, car elle sait bien le soir en se couchant près de moi que je vais m’y adonner.

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Pendant qu’elle dort comme une bienheureuse, statue de chairs au repos, je peux laisser traîner mes regards effrontés sur les monts merveilles et vallées que son âme apaisée semble avoir presque quittée.

Mes yeux toujours finissent par s’attarder sur ses cheveux bruns écourtés. Les filaments du doux duvet s’effilochent sur la nuque blanche mollement posée. Les draps vert céladon sur la blancheur du teint apportent leur pâle reflet. Et moi je profite du tableau de peau blanc pailleté de vert d’eau dans lequel pendant de longues minutes je me laisse, ophélienne, me noyer.

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Toujours, je finis par coller mon front contre ses cheveux follets, apposer mes lèvres sur la nuque élancée, plaquant mon corps contre le sien pour la réveiller.

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« Ma chambre à soi » devrait ressembler à cela, mais la quarantaine a pour le moment raison d’elle et de moi.

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Le rai de lumière me réveille me perçant les yeux. Les lamelles de mes volets intérieurs n’arriveront donc jamais à cautériser la brûlure du soleil qui s’infiltre par leurs biais, tous les matins pour me rappeler que je me réveille sans plus personne pour le moment à mes côtés.

La mue

 

La mue

Appel à textes - Transformation(s) & toxicité masculine - Les éditions du mur

19/08/2020 - Rebecca Rotermund

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La fille s’arrache la peau, se gratte, enlève les filaments de chairs qui s’effritent le long de ses cuticules, le long des ongles vernis. Tous les jours, elle prend un temps fou à faire des soins corporels. Vanité non pour elle, mais pour ceux qui la regardent. Obligation sociale qu’elle ne comprend pas, mais à laquelle elle adhère sans y penser. Toujours être parfaite, prête à être regardée, à être sous pesée, jauger, évaluée par les amis, la famille, les camarades de classe, par les inconnus aussi dans la rue. N’importe qui, dès qu’elle sort de son appartement, a le droit, comme elle est une femme, de la passer sous le feu du jugement, de la concupiscence, de la convoitise ou de la jalousie.

 

La fille croit que c’est normal, elle a grandi comme ça, elle était une jolie petite fille, on s’extasiait sur elle dans la rue, on arrêtait sa maman pour le lui dire. Des pluies de compliments sur son physique, ses grands yeux de biche ourlés par des cils à la longueur irréelle, une masse de cheveux incroyable, les os fins, un charme fou. La grâce et la pureté d’un faon, futur gibier pour les chasseurs désaxés, ceux qui pensent que la rue est un terrain pour chasser les culs qui ont le culot d’y passer. La fille a poussé comme ça, sous les boniments toujours en rapport avec son physique. Pour les autres, elle se résume souvent à un corps. Pourtant son cerveau est un terrain fertile, elle a oublié d’être conne, mais ça, tout le monde s’en tamponne. La fille est un physique avant d’être une âme. Un emballage. Une garniture pour le lit. Pour le sexe sale, méprisant, celui qui salit.

 

Son adolescence n’a fait qu’appuyer sur ces faits : la fille est avant tout une beauté. On ne lui demande pas de penser ou de briller. Elle le sait. Elle croit que c’est de la valeur ajoutée. Elle ne voit pas la poudre aux yeux, celle qui lui cache le piège, celui d’être tout le temps traquée, jugée, méprisée ; le rôle insignifiant de n’être plus un être humain à part en entière, mais juste un objet. Un truc sexué pour le plaisir des yeux, ou pour être utilisée.

 

Elle s’est retrouvée, dès ses onze ans, quand elle s’est sentie perdue devant son anatomie et ses changements, quand son corps a commencé à lui échapper, à feuilleter des magazines féminins, un peu par hasard, puis par volonté. Elle a cru y trouver son messie pour être guidée dans sa nouvelle féminité.

 

Elle n’a pas compris que ces journaux féminins, et certainement pas féministes, ces amoncellements de papiers étaient faits pour lui apprendre à plaire aux hommes, pour répondre aux dictats d’un patriarcat dont elle n’a pas conscience et qu’elle ne voit pas.

 

Elle est ainsi passée de jolie petite fille accro aux compliments, à celui de préadolescente en quête d’assentiment. Le corps change, la fille veut être certaine qu’elle est toujours aussi attrayante, toujours aussi belle. Elle cherche les regards, se mire, se décortique. Quand elle capte l’attention, elle ne voit pas le mauvais fond, celui de sa propre sexualisation. Elle devient une lolita qui n’a pas conscience d’en être une. Une allumeuse malgré elle, mais ça de toutes les manières, depuis qu’elle a deux petits seins pointus et une chute de rein à se faire se pâmer un saint, elle l’aurait été même si elle ne l’avait pas désiré.

 

Elle en rajoute une couche en suivant les conseils beauté et comportements qu’elle lit sur de mauvais papiers. Ça la conforte dans l’idée du pouvoir qu’est la beauté, qu’elle doit s’y plier, elle est persuadée que sinon elle perdra de la valeur, qu’elle sera une ratée. Alors même si elle est déjà jolie, elle apprend à se transformer, à se fignoler, ne voit pas que le but au fond est d’être désirable pour se faire sauter. Elle ne comprend pas la toxicité à répondre aux exigences de féminité qu’ordonne pour son propre plaisir le sexe opposé.

 

Au fur et à mesure de ses lectures, elle apprend à se parer, se maquiller, traquer des défauts qui n’en sont pas, mais qu’on lui indique comme étant à éradiquer. On lui dit même dedans comment un corps doit être fait pour être accepté. De ses sourcils à ses lèvres, en passant par la couleur de la pointe de ses seins, à l’aspect de son sexe et de sa pilosité, rien ne lui est épargné. Sa vie devient une ode d’injonction à la beauté.

 

Progressivement, elle avale ces kilomètres de conseils, qui sont des ordres en réalité. Et la voilà qui se met à douter de tout, et de tous ses attraits. La violence des complexes est lancée. Rien n’est assez beau chez elle, rien n’est parfait. À part, presque, sa minceur extrême, peu naturelle parce que depuis toujours elle est sous-alimentée, anorexie mentale du nourrisson qui ne l’a jamais tout à fait quittée.

 

Rien ne va plus, pas sa faute, les dés sont pipés. À courir après la perfection, on oublie de penser. Elle désapprend qu’elle a aussi un contenant, une personnalité, elle devient la cruche vide de contenu qu’on lui demande d’être pour susciter le désir et être remplie, assaillie, saisie et saillie par les pénis mal éduqués que produit notre société.

 

Il lui faut tout traquer en permanence. Racler, poncer, enlever, ajouter, atteindre un objectif de perfection que les magazines photoshopés, que des nanas irréelles sur Instagram lui mettent en permanence sous le nez. Ça lui prend un temps fou, du temps que pour d’autres activités elle ne peut plus employer. Elle ne voit pas l’irréalisme de ce qu’elle prend pour argent comptant, le travail des maquilleurs, la lumière du photographe, les poses pas naturelles, les retouches des graphistes. Ce mensonge permanent devient sa religion : atteindre une improbable perfection.

 

La fille est en lutte contre elle-même et contre sa propre humanité. Sa chair ne doit pas avoir de défauts, toute sa personne ne doit pas être faillible. Il ne faut pas risquer le risible. Il ne faut pas laisser une brèche, une fissure pour risquer que les moqueries s’installent, grouillent sur sa peau comme des parasites, elle a peur du regard de l’autre qui pourrait irrémédiablement l’abîmer. Ne pas tenter le diable et risquer de montrer le moindre défaut physique, de s’effriter sous le regard des autres, de ceux qui perpétuellement ne font que la juger. Bout de viande à consommer.

 

À lire toutes ces conneries, tissus de mensonges écrits par des femmes, pour des femmes, mais au fond pour les hommes, elle apprend aussi comment se comporter, qu’il faut être douce et soumise tout en étant soi-disant une femme libérée. Ça lui apprend les minauderies, qu’il faut mimer, faire du théâtre, être artificielle, jamais tout à fait soi-même, jamais naturelle, pour combler le mâle qui daignera dans sa grande bonté bien vouloir la regarder, l’aborder et surtout un jour l’aimer.

 

La fille confond tout, les sentiments, le désir, le sexe. Elle n’a pourtant pas eu une éducation de cruche, de petite fleur bleue, cependant rien n’y fait, dans sa tête tout est emmêlé. Elle est trop jeune, elle a l’âge niais. Et puis aussi elle aime en secret. Avoir des sentiments ça lui donne l’impression d’être une petite femme, de ne plus être un bébé. Une sensation un peu folle et surtout faussée.

 

La fille ne le sait pas, mais elle va se faire rétamer. Elle est amoureuse du même garçon depuis plusieurs années. Depuis le tout début de sa puberté, depuis avant que ses seins n’aient commencé à pousser. Elle l’aime, elle l’adule, elle se passionne pour lui depuis le premier jour où elle l’a croisé. Elle ne lui a rien dit cependant, par peur du ridicule, et aussi parce qu’elle savait que le garçon, un peu plus vieux qu’elle, regardait les jeunes filles et femmes déjà formées, et qu’à l’époque elle était un fil de fer sans reliefs, un physique qui ne retenait pas les rétines, un corps qui ne fait pas fantasmer les pines. Mais maintenant que son corps a commencé sa transformation, maintenant qu’elle a passé l’âge ingrat, qu’elle accède enfin à cet état de grâce juvénile qu’ont parfois les filles, elle sait que son heure est venue.

 

Elle bout d’impatience, pourtant rien de visible en vue. Elle ne se déclare pas, ne fait pas savoir à l’intéressé ni à ses amies son état. Peur de la honte, du ridicule encore une fois. Peur adolescente, peur de devenir risible, peur de s’exposer. Alors la fille choisit le secret, même si en conséquence il ne peut rien se passer.

 

Elle sait qu’elle est jolie, qu’elle plaît, que les hommes aiment la regarder, que les jeunes filles adorent la détester. Pourtant au fond elle se sent laide, elle croit que tout est à jeter. Rien ne correspond aux canons de beauté qu’elle lit sur le papier glacé des magazines, glaçant de haine pour le corps féminin, et pourtant éditer pour eux, soi-disant pour leur bien. Alors elle ne tente rien. Elle attend qu’il veuille bien la remarquer, mais le garçon est très beau, doté d’un physique exotique qui plaît, qui fait qu’il n’a pas besoin de se fouler pour ramasser les minettes qui rêvent de se faire aimer.

 

Un beau jour, où il doit être pris d’ennui, il la remarque cette jolie fleur prête à être cueillie. Il faut maintenant qu’il la possède, besoin qui ne restera pas inassouvi. Il la courtise un peu, il l’emballe rapidement, il en est fier, il est pédant, il n’a pas conscience que c’est simplement dû au fait que la fille rêve de lui en secret depuis des années.

 

Pendant six mois ils ne feront que flirter, avec moult baisers, caresses de moins en moins chastes, de plus en plus osées, sans pour autant que la fille ne se laisse totalement aller. Elle a une haute opinion, une certaine idée de sa virginité, elle ne veut pas aller trop vite, céder tout de suite, son dépucelage il doit le mériter. Une idée étrange, une conception bizarre du romantisme et des valeurs qu’on accorde à un hymen déchiré.

 

Quand arrive cet anniversaire, consacrant leur demi-année écoulée en petit couple parfait, la fille se dit que ça y est, elle peut céder. Qu’elle est dans son bon droit. Qu’elle ne passera pas pour une fille facile ou une salope en faisant ça. Dans sa tête, c’est important et symbolique ces six mois. Ça lui prouve qu’il est resté, qu’il bel et bien amouraché, lui ce petit vaurien qui normalement se lasse rapidement et pour un rien.

La fille se trompe. En vérité s’il ne s’est pas lassé, s’il n’a pas été frustré de ne pas pouvoir la baiser, c’est justement parce qu’il n’a pas cessé de la tromper. Aussi ça ne le gêne pas de devoir poireauter. Il attend son heure, il veut son joli trophée.

 

Alors un beau soir de février, un soir de trop grande liberté, la fille se donne et perd pour un sagouin sa virginité.

 

Ce jeu durera peu. Le garçon, qu’elle prend à tort pour son amoureux, ne restera qu’un peu. Quelques petits mois à venir la butiner par-ci par-là. Trois petits tours et puis s’en va. Un jour, il la jette et part au loin sans regret.

 

La fille n’a pas réussi à retenir son amour faux, son amoureux de quelques nuits. Elle met ça sur son manque de grâce, dans son ignorance crasse du genre humain qui ne doute de rien, qui se permet des jeux malsains, qui utilise l’autre et le rejette après comme un vieux machin, et qui laisse les jeunes filles se sentir comme des torchons sales sur lesquels on s’est essuyé la bite et les mains.

 

La fille pense qu’il l’a quittée parce qu’elle manque d’attrait. Parce qu’il y a trop ou pas assez sur son petit corps de jeune fille en devenir, dysmorphophobie, elle pense qu’elle est laide à en crever, à faire fuir ceux qui la verront dénudée.

 

Les dés sont jetés, rien ne va plus, le doute restera toujours installé : réussira-t-on à l’aimer, elle qui ne voit que des défauts et des tares où qu’elle pose ses yeux, malgré les hommes qui louchent sur elle, qui ne cessent de l’aborder, alors qu’au fond, malgré le corps gracile de très très jeune fille, c’est un grand bébé. Malgré, aussi, les filles qui commencent à la détester. Elle a trop de succès. Ça leur donne envie de cracher dans son dos. C’est ça le pire dans ce monde de fous, les femmes qui se tirent dans les pattes, et les hommes derrière qui en jouent.

 

Elle ne sait pas si son sexe maintenant utilisé fait d’elle une petite femme, ou une petite pute à mépriser. Une chose est certaine, c’est que dès que son corps à commencer à muer, c’est tout sa vie qui lui a échappé.

 

C’est comme ça qu’elle s’est construite, s’extrayant de son corps de petite fille pour devenir une femme-objet. Sans le percevoir. Sans y penser. Biberonnée aux normes sociales et injonctions à la beauté, au romantisme désuet qui ne prépare pas à la réalité, la fille a fini par s’oublier.

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